Logo CDE

Logo Cercle des Européens


Entretien du 30/05/12
Georges Santer
Ambassadeur du Luxembourg en France

Pas une crise de l'euro mais de l'endettement

La crise de la zone Euro

Cercle des Européens: Que pense le Luxembourg de ce nouveau traité budgétaire ?

S.E.M. Georges Santer: A Luxembourg, on s'est interrogé sur la nécessité à terme d'avoir ce traité. Parce que nous sommes partis de l'idée que nous avions fait dans les années 90 tout un travail utile et que beaucoup de ce que nous avons reformulé est déjà contenu dans des textes qu'on aurait du respecté. Il y a notamment eu des étapes très importantes en 2003-2004 où on était un peu déçu que certains pays ne respectent pas les clauses du traité. Psychologiquement, cela a eu des conséquences très graves sur la dérive avec des pourcentages d'endettement aujourd'hui qui dépassent les 80% dans certains pays-clés.

Cercle des Européens: Votre pays est-il touché par la crise de la zone euro ?

S.E.M. Georges Santer: Le Luxembourg est vivement frappé. Nous avons un grand handicap car nous avions été gâtés ces derniers temps, aussi parce que nous avons mené une politique intelligente. C'est aux hommes politiques aujourd'hui de dire à la population "nous devons nous aussi engager des réformes de structures et nous serrer la ceinture". C'est parfois plus difficile dans un pays ayant connu un taux de croissance très impressionnant pour un pays européen...

Nous avons subi comme d'autres pays européens une désindustrialisation énorme, des firmes présentes depuis des décennies chez nous n'existe plus. La crise de la sidérurgie qui frappe la Lorraine du Nord nous touche aussi. La crise s'est bien installée dans le domaine de l'industrie. Evidemment dans le domaine de la finance, il y a des phénomènes de reconfiguration, de recapitalisation avec des nouveaux acteurs... Tout cela a aussi bousculé la situation dans ce domaine.

Cercle des Européens: Contrairement à de nombreux pays, l'euro n'est pas du tout remis en cause chez vous...

S.E.M. Georges Santer: Le gouvernement a bien véhiculé l'idée de que serait l'alternative avec des dévaluations successives pour avoir des gains de compétitivité... nous serions dans une situation catastrophique. Le problème n'est pas dans la monnaie. Ce n'est pas une crise de l'euro mais de l'endettement. Tout ce qu'on découvre aujourd'hui sur certains pays était connu à mon avis au moment où on a décidé d'intégrer tel ou tel pays dans la structure de l'eurogroupe.

Cercle des Européens: Trouvez-vous que la crise a été bien gérée en Europe jusqu'à présent ?

S.E.M. Georges Santer: De manière générale, on dit toujours qu'on aurait pu mieux faire... objectivement, il y a eu pas mal de tergiversation voir de fausses routes prises par des pays qui n'étaient pas les plus petits avec des signaux parfois un peu douteux pour les marchés. Je pense qu'il aurait parfois été mieux de réfléchir à 17 plutôt que de manière trop intergouvernementale. Rappelez-vous des décisions prises sur l'implication du secteur privé quant au non-remboursement de la dette par exemple.

Les polémiques sur la taxe Tobin, les paradis fiscaux et le siège du Parlement européen

Cercle des Européens: Que pense votre gouvernement de l'idée d'une taxe sur les produits financiers en Europe ?

S.E.M. Georges Santer: Nous avons beaucoup de sympathie pour une telle taxe. Celle-ci ne pourrait pas exister cependant dans un nombre limité d'Etats, sans même la participation de tous les pays de l'eurogroupe ou de l'Union européenne, voir du point de vue mondiale. Cela explique notre point de vue mitigé mais qui est fondamentalement favorable à une telle taxe.

Cercle des Européens: Le Luxembourg a une réputation de "paradis fiscal" en France...

S.E.M. Georges Santer: Quand on utilise ce type de qualification, il faut savoir à quoi on fait référence et quelles sont les connotations qui sont véhiculées avec... Selon l'OCDE, mon pays n'est pas un paradis fiscal selon une terminologie considérée comme de référence. A l'intérieur de l'Union européenne, il y a toujours une certaines compétitivité fiscale, dont profitent la France, la Belgique et les autres pays. Dans une certaine mesure, chaque pays est pour l'autre un petit "paradis fiscal".

Nous nous orientons vers des situations où certains pays grâce à certains régimes où à l'intérieur de l'Union européenne des Etrangers doivent révéler leur identité alors que des citoyens peuvent garder le secret bancaire à l'intérieur du même Etat. Il faudrait voir comment régler cette situation car il ne devrait pas y avoir de discriminations d'un tel genre... Le Luxembourg impose les taux fiscaux imposés par l'Union européenne. Là où il y a une marge de manoeuvre, en user est légal.

Cercle des Européens: Que pensez-vous de la polémique sur l'idée d'un siège unique du Parlement européen... à Bruxelles ?

S.E.M. Georges Santer: Evidemment, la situation est un peu particulière avec ces sièges multiples mais ceux-ci ne sont pas nés d'une lubie d'hommes politiques. Ils ont été pensé dans une perspective historique. Jusqu'en 1981, le Luxembourg accueillait certaines sessions plénières avec Strasbourg, aujourd'hui nous hébergeons le Secrétariat général, devenu siège définitif depuis le traité d'Amsterdam. Nous allons d'ailleurs construire un immeuble pour regrouper au même endroit tous les services du Parlement européen présents chez nous.

Nous restons sensibles au fait que Strasbourg reste un des sièges du Parlement européen. Strasbourg est un peu le symbole de la réconciliation. Je pense aussi qu'on peut faire du travail à distance avec les moyens de communications modernes.

La fonction d'Ambassadeur

Cercle des Européens: Quel est le travail d'un Ambassadeur du Luxembourg à Paris ?

S.E.M. Georges Santer: Est-ce que dans les pays de l'Union européenne nous devons encore avoir des ambassades ou ne servent-elles qu'à faire la promotion commerciale de son pays dans les pays tiers ? Aujourd'hui, le temps est révolu où vous aviez à Bruxelles ou à Luxembourg, une décision où vous avez un véto ou besoin l'unanimité car nous avons aujourd'hui pour la plupart des sujets un vote à la majorité qualifiée. Les votes se font aujourd'hui par un système d'alliances. A nous de communiquer les sensiblités du gouvernement français à Luxembourg pour qu'ils sachent comment le cas échéant trouver un compromis afin de sauver les ambitions qui sont les nôtres. Dans beaucoup de domaines du reste, celles-ci sont proches de la France avec qui nous partageons un fort intérêts sur les questions sociales.

Je ne vois pas comment on pourrait dire aujourd'hui que les Ambassades ne sont plus utiles dans l'Union européenne. Le travail a changé, mais il y a de nouvelles raisons d'êtreà Le Luxembourg est aujourd'hui par exemple très appréciée dans le domaine des co-productions. En effet, le budget de la culture n'a pas tendance à augmenter... la liste est très longue, et continue de s'allonger, de théâtres ou d'opéras français qui cherchent à coopérer avec le Luxembourg. Le vecteur de la communication est très important, d'autant plus à Paris et en France. C'est un peuple très porté sur la culture. Si on veut corriger l'image de marque du Luxembourg, c'est un vecteur de correction de certains préjugés et de ce point de vue c'est donc un vecteur important de toute politique en France.

Cercle des Européens: Peut-on considérer les frères Schleck comme les ambassadeurs du Luxembourg sur le Tour de France ?

S.E.M. Georges Santer: C'est formidable d'avoir les frères Andy et Franck Schleck. Le Luxembourg a été un grand pays cycliste avec des victoires sur le tour de France à partir de 1907. Charly Gaul, "l'ange des montagnes", est décédé il y a quelques temps et était le dernier vainqueur luxembourgeois du Tour en 1958 [NDLR: jusqu'à ce que le titre de 2010 ait été finalement donné à Andy Schleck après le déclassement d'Alberto Contador, décision pris après cette interview]. Si j'accepte aujourd'hui le terme concurentiel d'ambassadeur, je l'accorde volontiers aux frères Schleck.

Le Service Européen d'Action Extérieure

Cercle des Européens: Que pensez-vous du bilan du Service Européen d'Action Extérieure (SEAE) ?

S.E.M. Georges Santer: J'étais ambassadeur en Chine dans les années 90. L'image de l'Europe était déjà fort complexe. Je sais que depuis le traité de Lisbonne, ils sont un peu perdus avec tous ces nouveaux présidents... Pour celui qui jette un regard depuis l'extérieur, nous n'avons pas trop simplifié les visages que nous présentons à l'étranger. Il y a certainement matière à améliorer pour le SEAE dans la représentation extérieur. Cela implique du bon personnel mais aussi la volonté de chacun des pays membres de renoncer à la présentation d'une politique nationale quand celle-ci peut s'intégrer dans une formulation européenne.

Cercle des Européens: Sera-t-il possible d'avoir un jour une diplomatie européenne à la place des diplomaties nationales ?

S.E.M. Georges Santer: Lorsque je défends une position nationale, j'ai des instructions et mon gouvernement est précis sur la position gouvernementale du Grand Duché. Si vous voulez un porte-parole pour les 27 (et demain pour peut-être 32 Etats), il faudra une politique homogène et bien formulée dans le domaine de la politique étrangère ou ce représentant sera muet. Il faut encore travailler sur la volonté de chacun de nous pour arriver à des positions communes. A terme, je pense que nous serons tous confrontés à des restrictions budgétaires. Evidemment, certaines capitales souhaiteront avoir des représentations directes car une ambassade ne concerne pas seulement la politique étrangère, mais la promotion économique et culturelle. L'Europe doit déjà formuler une vraie stratégie commune vis-à-vis de certaines régions, ce que nous ne sommes pas toujours capable de faire...


 

Informations sur Georges Santer
Georges Santer est titulaire d'un Magister der Philosophie (maîtrise d’histoire et d’allemand) obtenu à l'Académie Diplomatique de Vienne. Au deuxième semestre 1985, il est détaché à l’ONU à New York où il suivait durant la présidence luxembourgeoise de la Communauté Européenne les travaux de la Commission des Droits de l’Homme et des Affaires Sociales. De 1986-1988 il a été chargé de la coordination internationale du premier satellite luxembourgeois lancé en décembre 1988.

Son premier poste d'Ambassadeur, M. Santer l'a tenu à Pékin (1992-1995). Il a ensuite représenté son pays à Vienne, Budapest puis Ljubjana. En 2002, il devient Secrétaire Général du Ministère des Affaires étrangères, où il défend notamment les intérêts de son pays au Conseil d’Administration de l’Entreprise des Postes et Télécommunications. Il est nommé Ambassadeur auprès du Saint-Siège en 2004.

Il devient Ambassadeur du Luxembourg en France en septembre 2007 et exerce aussi la représentation permanente auprès de l’OCDE et de l’UNESCO. Depuis novembre 2008, il a également en charge la diplomatie avec Monaco.

Actuellement il est Membre du Conseil d’Administration du Festival de musique d’Echternach, de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg et de "Luxembourg et Grande région, Capitale européenne de la Culture 2007".

M. Georges Santer est détenteur de nombreuses distinctions honorifiques nationales et étrangères.
Cercle des Européens

Pour une Europe unie…

Photorama

Partenaires

Copyright ©2024 Cercle des Européens | Tous droits réservés | Mentions légales | Politique de confidentialité | Réalisation inPhobulle

Ce site utilise Google Analytics. En continuant à naviguer, vous nous autorisez à déposer un cookie à des fins de mesure d’audience.