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Rencontre du 13/11/08
Zourabichvili
Ancienne Ministre géorgienne

Salomé Zourabichvili

Au lendemain d’un Conseil européen décisif où les 27 États membres ont fait la preuve de leur unité face à la crise financière, Alain Lamassoure a salué l’action de la Présidence française, "une chance extraordinaire pour l’Union" en indiquant que cette crise était une "préfiguration du fonctionnement de l’UE avec les institutions du Traité de Lisbonne".

L’amélioration de la régulation financière en Europe était au centre de son intervention.

A la veille de la visite à Paris du Président géorgien Mikheil Saakachvili et du sommet UE-Russie, Salomé Zourabichvili, ancienne ministre des affaires étrangères de Géorgie et leader du parti d’opposition "La Voie de Géorgie", était l’invitée des rencontres du Cercle des Européens - L’Express, le 7 novembre 2008. Estimant que l’intervention européenne dans le conflit en Géorgie avait permis de "sauvegarder l’essentiel", elle a mis en garde contre les risques d’une "consolidation de la main mise russe" en Ossétie du Sud et en Abkhazie. Selon l’ancienne ministre, les efforts doivent à présent se porter sur la démocratisation de la Géorgie, dans le cadre "d’un processus de rapprochement de la Géorgie avec l’Union européenne".

Retrouver les extraits vidéo sur le site de L’Express

Salomé Zourabichvili a d’emblée fait remarquer combien le regard que l’Europe portait sur la Géorgie avait changé depuis le mois d’août 2008. Ella a indiqué que, durant sa carrière diplomatique, elle avait constaté un intérêt limité des Européens pour la Géorgie, pays "lointain" et semblant "marginal par rapport aux enjeux européens" Or, brutalement "le destin de l’Europe et celui de la Géorgie se sont croisés". Plus encore : "la capacité de l’Union européenne à mettre en œuvre une politique étrangère commune ainsi que la réussite de la Présidence française se sont joués à l’occasion de la crise à laquelle s’est trouvée confrontée la petite Géorgie".

Des faiblesses de la Politique européenne de Voisinage (PEV) Quelques années avant que la Géorgie ne fasse brusquement son entrée au top de l’actualité européenne après l’incursion des troupes russes sur le territoire géorgien le 8 août dernier, l’Union européenne avait commencé à s’intéresser à la Géorgie dans le cadre de la politique européenne de voisinage (PEV) initiée lors de l’élargissement de 2004. Distincte du processus d’élargissement, cette politique vise à développer des relations privilégiées avec les "nouveaux voisins" de l’UE. Dès 2005, un second cycle de la PEV a été lancé en direction des pays du Caucase du Sud, soit l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Salomé Zourabichvili a souligné l’ambiguïté intrinsèque de cette politique, qui "dans une période de pause ou d’arrêt de l’élargissement de l’UE, tend uniquement à combler un vide sans offrir aux pays concernés aucune perspective d’adhésion". Avec le grand voisin incontournable qu’est la Russie, n’ont en fait pas été abordés les sujets qui fâchent. Il n’y a pas eu suffisamment de dialogue sur les enjeux communs que sont par exemple les conflits gelés (Haut-Karabagh, Ossétie du Sud et Abkhazie, Transnistrie ), la question de l’énergie ou encore celle de la démocratisation, ce qui a réduit la portée de la politique de voisinage dont le bilan n’est par suite pas totalement probant.

A propos de l’initiative commune de la Pologne et de la Suède en vue d’un partenariat oriental et pour un renforcement des relations avec les voisins de l’Europe de l’Est (Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine), en particulier l’Ukraine et la Géorgie, il a été rappelé que la Commission ferait une communication sur le sujet lors du Conseil européen de décembre 2008. Cette idée suédo-polonaise est née en réaction au projet français d’Union pour la Méditerranée ayant fait naître chez certains Etats membres la crainte de déséquilibres régionaux dans l’UE. Ce "partenariat oriental" tend surtout à limiter l’ingérence de la Russie dans les pays concernés de la Moldavie à la Georgie, en passant par l’Arménie et l’Ukraine, voire la Biélorussie. On en saura davantage en décembre sur l’avenir de l’initiative en question.

L’Union européenne, médiateur dans le conflit entre la Géorgie et la Russie

Le conflit entre la Géorgie et la Russie a "mis au défi l’Union européenne", qui s’est retrouvée seule en position d’agir du fait de l’absence des Etats-Unis, et ce, non seulement en raison du calendrier électoral, mais aussi du fait que la Maison blanche "a boudé", car elle n’a pas apprécié l’intervention militaire géorgienne. Condoleeza Rice était venue quelques temps auparavant à Tbilissi pour mettre en garde le Président Saakachvili sur les risques de toute tentative d’intervention de l’armée géorgienne en Ossétie du Sud ou en Abkhazie. Malgré cette mise en garde et les recommandations faites par le gouvernement américain au Président Saakachvili de ne pas céder aux provocations russes, ce dernier a donc choisi le coup de force, mais à ses risques et périls. Salomé Zourabichvili s’est inscrite en faux contre "la thèse russe de l’instigation américaine de ce conflit". Avant d’aller à Tbilissi à la mi-août confirmer son soutien à la Georgie suite à l’intervention militaire russe, la Secrétaire d’Etat américaine avait fait une halte à Paris, démontrant de la part des Américains la volonté de laisser les Européens régler eux-mêmes diplomatiquement ce conflit.

Pour Salomé Zourabichvili, c’est ainsi qu’en août 2008, l’Union européenne a véritablement "fait ses premiers pas en politique étrangère", avec "finalement une belle unanimité" On aurait tort en effet, selon l’oratrice, de se focaliser sur les divergences européennes, alors que "c’est la multiplicité des points de vue qui fait la force de l’UE". Dans un domaine qui divise comme celui des relations avec la Russie, ces différentes sensibilités sont garantes d’un accord solide. "Je ne crois pas qu’il aurait pu y avoir un dénominateur commun plus élevé", a souligné Salomé Zourabichvili.

L’accord de cessez le feu arraché par la Présidence française, une semaine après le déclenchement du conflit, n’est peut-être pas parfait – "du moins il ne rend pas à la Géorgie ce qu’elle a perdu" - mais il a permis de sauvegarder l’essentiel en arrêtant les combats, et en empêchant l’invasion de la capitale et le renversement du régime géorgien.

L’action de l’Union européenne n’est pas terminée, "son efficacité sera jugée sur l’ensemble de ce qui aura pu être fait ". Les négociations de Genève, lancées le 15 octobre pour gérer l’après conflit risquent hélas de se détourner des véritables enjeux que sont l’avenir des deux provinces d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, d’une part, et le retour chez eux des réfugiés géorgiens, d’autre part. Il faudrait, selon Salomé Zourabichvili, une conférence beaucoup plus vaste qui aborde aussi la question de la relation entre l’UE et la Russie sur une base durable.

Ossétie du Sud et Abkhazie, deux régions à l’avenir incertain

Interrogée sur l’avenir de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, autoproclamés indépendants et reconnus par la Russie qui y a envoyé des ambassadeurs, Salomé Zourabichvili a exprimé sa crainte "d’une consolidation de la main mise de la Russie", non seulement sur ces deux régions séparatistes, mais également sur de vastes territoires limitrophes représentant l’équivalent d’un tiers de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie réunis. Dans l’immédiat, il faut impérativement permettre aux réfugiés géorgiens de revenir chez eux et utiliser la mission d’observation de l’UE à cet effet. A terme, la solution est de faire de " la Géorgie un pays plus attractif que la Russie aux yeux des populations de ces régions séparatistes", notamment en y accélérant le développement économique et démocratique du pays.

Cela étant, la situation en Ossétie du Sud gangrenée par les mafias et celle de l’Abkhazie, où s’est effectivement développé un mouvement séparatiste, sont différentes. Selon Salomé Zourabichvili la Géorgie n’aurait pas du abandonner la population ossète, qui "s’est trouvée condamnée à un face à face avec les Russes qu’elle ne souhaite en réalité pas".

Le conflit entre Russie et Géorgie, test pour la nouvelle administration américaine ?

Test pour l’Europe,le conflit russo-georgien pourrait bien se révéler être un test de première grandeur pour le nouveau Président élu, Barack Obama. Va-ton vers "une nouvelle approche de la part des Etats-Unis, une approche plus multilatérale" qui permettrait, tout en maintenant leur engagement, de laisser à l’Union européenne le premier rôle dans cette région ? Le Président Obama va-t-il se dissocier du soutien appuyé à la Géorgie manifesté par son prédécesseur, et quelle sera son approche des problèmes avec la Russie ? Ces questions sont posées sur fond d’interrogations de la part des Géorgiens qui se demandent ce que va décider le nouveau Président américain vis à vis de leur pays et vis à vis de la Russie.

Quelle que soit l’évolution de la politique étrangère américaine, l’UE doit mettre à profit sa contribution à la formidable manne financière débloquée lors de la Conférence des donateurs pour la Géorgie, tenue à Bruxelles le 23 octobre 2008. L’Europe, premier contributeur de ce programme d’environ 5 milliards d’euros de 2008 à 2010, a tous les moyens "pour faire avancer les réformes et la démocratie".

Un impératif : Poursuivre la démocratisation de la Géorgie

Si la Russie a une responsabilité majeure dans le déclenchement du conflit, il existe "également une responsabilité géorgienne". Réélu en janvier 2008 à l’issue d’un scrutin contesté et dans un contexte de dénonciation des dérives autoritaires du pouvoir, le Président Saakachvili a choisi de s’engouffrer dans "une sorte de fuite en avant", en recherchant "dans la reconquête des deux provinces séparatistes, une nouvelle forme de légitimité". Leader du parti d’opposition - "Voie de la Géorgie" - Salomé Zourabichvili a évoqué la rhétorique militaire qui se développait au sein du pouvoir. Aussi l’Union européenne doit-elle "poursuivre la tâche de démocratisation entamée par les Etats-Unis". Ce qui doit s’inscrire dans le cadre "d’un processus de rapprochement de la Géorgie avec l’Union européenne".

Quant à l’intégration de la Géorgie à l’OTAN, Salomé Zourabichvili a estimé qu’elle devait avant tout reposer "sur les propres mérites" de son pays et non pas être considérée du point de vue de la Russie. Le fait d’avoir refusé à la Géorgie la reconnaissance du statut de candidat, lors dernier sommet de l’OTAN à Bucarest en avril 2008, "au motif qu’il ne fallait pas déplaire aux Russes a été une erreur". Il suffisait de considérer que la Géorgie ne satisfait pas actuellement aux critères requis pour cette adhésion, tout en manifestant la volonté de travailler en priorité à sa démocratisation. Et s’atteler également bien sûr au retour des géorgiens réfugiés dans leur pays…

Au cours des débats, il est apparu que la revendication par la Russie du droit de protéger les russophones des pays voisins, en avait sidéré plus d’un. Il a été également évoqué le fait que la Russie s’était peut-être piégée. Au moins s’est-elle placée dans une situation délicate. Auparavant, elle tirait les ficelles des gouvernements des deux provinces d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie en y encourageant des mouvements sécessionnistes. Aujourd’hui, elle est officiellement le protecteur des deux régions qu’elle est pratiquement la seule au monde à reconnaître comme États souverains, sans que son contrôle soit nécessairement renforcé par rapport à ce qu’il était avant le 7 août. Se retirer, pour elle, c’est risquer de perdre ce contrôle. Ne pas de le faire, c’est risquer de ne pouvoir reconquérir la confiance de ses partenaires.

Pour Salomé Zourabichvili, le rôle de l’Union européenne et de sa politique étrangère dans cette région est en tout état de cause absolument déterminant.


 

Informations sur Zourabichvili
Diplomate française d’origine géorgienne, ministre des Affaires étrangères de Géorgie entre mars 2004 et octobre 2005, Salomé Zourabichvili est actuellement leader du parti d’opposition "La voie de Géorgie".
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