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Entretien du 16/07/08
Thierry Cornillet
Député européen (ADLE-France)

Le non-respect du Droit international humanitaire doit être imprescriptible

Le Cercle des Européens : L’aide au développement est une politique majeure de l’Union européenne puisque celle-ci représente plus de la moitié (55%, soit 46 milliards annuels et 100 euros par citoyen de l’UE) de l’aide publique au développement dans le monde. Pouvez vous nous donner les grands principes et objectifs de cette politique ?

Thierry Cornillet : Le principe central de cette politique de l’Union est d’assurer un développement parallèle de tous.

Le problème n’est pas seulement de type "humanitaire" ou d’entraide entre les hommes peuplant la même terre. Cette générosité est présente bien sûr, mais pour l’UE aider, c’est aider à se développer, ce n’est pas seulement un partage de richesses mais aider à la création de richesse. C’est pourquoi notre aide est multidimensionnelle. Elle porte à la fois sur la formation des hommes, sur les infrastructures et bien sûr dans le domaine social et l’aide alimentaire.

La politique d’aide au développement est particulièrement importante en Afrique et elle se fonde sur les accords de Cotonou. En quoi consistent ces accords et pouvez-vous en dresser un bref bilan ?

Les accords de Cotonou sont les derniers d’une longue série qui ont constitué l’axe principal de la politique d’aide de l’UE vis à vis des pays les moins avancés. Dans le cadre de la coopération Afrique-Caraïbes-Pacifique/Union européenne, nous établissons un partenariat avec 78 pays issus de ces 3 zones et le Fonds Européen de Développement (FED) en est le principal levier financier. Il est doté pour la période 2007- 2013 de 15,1 Milliards d’euros.

Au total depuis les accords de Yaoundé, c’est plusieurs dizaines de Milliards d’euros qui ont été distribués selon des procédures propres à l’UE en accord avec nos partenaires respectant les principes de l’appropriation.

Les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), fixés dans le cadre de l’ONU en 2000, visent à réduire la moitié la pauvreté à l’horizon 2015. Quel est le bilan, à mi-chemin ? La crise alimentaire mondiale n’oblige-t-elle à revoir ces objectifs ? Quel est le sens de la résolution du Parlement européen à ce sujet ?

Je crains que nous n’en soyons encore loin. Certes l’objectif était ambitieux et il doit être maintenu mais il oblige à une vraie prise de conscience de la part des donateurs mais aussi des gouvernements concernés pour qu’ils prennent les décisions propres à atteindre ces objectifs. Il s’agit d’une responsabilité partagée.

Pour ce qui est de la crise alimentaire, naturellement elle influe sur les réalisations des objectifs car plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde affectent 2/3 de leur maigre revenu (- de 1 à 2 dollars par jour) à la nourriture.

Dans sa résolution le Parlement européen a réaffirmé sa volonté de ne pas passer les OMD en perte et profit mais d’en refaire un objectif d’action politique.

Il semble que l’aide au développement, contrairement aux objectifs de l’OMD soit en diminution en Europe, avec une baisse de 0,41% à 0,38% du Revenu National Brut de l’UE. Parmi les Etats qui ont diminué leur contribution figure la France. Quelle est la raison de cette attitude ?

L’angélisme et la bonne volonté ne feront pas tout. D’une part il est vrai que les objectifs affichés n’ont pas été atteints. Rappelons que l’objectif final serait de 0,7% du RNB mais soyons conscients que passer de l’expression en pourcentage du RNB en euros, cela représente un nombre respectable de milliards d’Euros. Et cet argent il faut le prendre soit dans d’autres budgets soit en augmentant les impôts. En fait, c’est vrai dans d’autres pays que le notre mais il semble que les gouvernements ne soient pas prêts, quelque soit d’ailleurs leur couleur politique, à rendre ces arbitrages douloureux (à la notable exception des pays scandinaves) mais il faut aussi regarder en valeur absolue mais la France n’est pas la plus mal placée même si elle doit tenir tous ses engagements à terme.

Le 22 mai, le Parlement européen a adopté une résolution sur l’efficacité de l’aide au développement dont la principale conclusion est que "l’aide au développement n’est pas suffisamment performante" et qu’il faut en vue de remédier à cette situation lutter fermement contre la corruption. Quelle est la mesure de cette corruption, et quels pays touche-t-elle plus particulièrement ?

L’ONG transparenty international a donné un classement. L’on peut s’y référer il est assez fiable. L’efficacité de l’aide doit être mesurée en termes d’efficience économique et sociale. Et cette responsabilité d’efficacité doit être partagée entre pays donateurs, qui doivent "tracer" l’argent donné car il s’agit d’argent public et des comptes doivent être rendus, et gouvernements récipiendaires qui ont l’obligation d’utiliser au mieux dans l’intérêt de leur population les sommes qui sont affectées.

Il semble que le Kosovo soit le pays où l’aide au développement est la plus importante au monde par tête d’habitants et où le détournement des aides est le plus criant (10% des aides à peine irait à leur juste destination, les 90% étant détournés par des mafias ? Pouvez-vous confirmer ces estimations et pourquoi les autorités communautaires, notamment le Parlement européen ne se saisissent-elles pas du dossier ?

Le Kosovo n’est pas dans le domaine couvert par la Commission du Développement car situé en Europe. En toute hypothèse une enquête s’impose et les Institutions européennes ont les structures de contrôle adéquates. Il faut les mettre en œuvre. 

Il est de même de notoriété publique que les aides de l’UE à l’Autorité Palestinienne ont été largement détournées de leur destination. Cette situation perdure-t-elle ? Dans le cas où la corruption aurait pu être éradiquée, comment ce résultat a-t-il pu être atteint ?

L’UE est le principal soutien financier des Palestiniens avec au total 500 millions d’euros d’aide annuelle. Le contrôle de cet argent public est impératif mais difficile du fait de la situation politique et du problème qui prend souvent des aspects passionnels.

Lors des débats au Parlement européen de mai 2008 sur l’efficacité de l’aide au développement, il a été proposé de mettre en place des nouveaux outils pour évaluer l’aide et garantir son utilisation efficace. Quels sont ces outils et qu’en attendez-vous ?

Parmi ceux-ci l’appui budgétaire direct, c’est à dire d’abonder le budget de tel ou tel Ministère d’un pays partenaire en vue de tels ou tels projets ou objectifs quantifiés. Cela n’est possible que dans les pays où existe une certaine orthodoxie financière et budgétaire et où il soit possible à l’UE de tracer l’usage effectif qui a été fait de l’argent attribué. Cette nouvelle forme d’aide vient en complément de celle directement aux projets. Elle permet d’accompagner l’effort national réalisé, est moins lourde en procédure bureaucratique et plus facilement vérifiable.

Le Parlement européen a également proposé de supprimer la conditionnalité politique qui permettait pourtant de demander aux pays attributaires des aides des efforts dans le sens de la protection des droits de l’homme. Ne trouvez-vous pas étonnant que le Parlement européen, dont le rôle dans la défense des droits de l’homme est si emblématique, fasse une telle suggestion ?

Le PE a été moins direct que cela. Parmi les objectifs de l’aide, persistent la défense des Droits de l’Homme et la bonne gouvernance. Il serait souhaitable que tous les pays donateurs aient le même souci "éthique". Je pense à la Chine bien sûr qui n’exige aucune conditionnalité politique pour son aide.

Louis Michel ancien ministre belge des Affaires étrangères, et actuellement Commissaire européen à l’aide au développement et à l’humanitaire, veut promouvoir le partenariat stratégique décidé lors du dernier Sommet Europe/Afrique de Lisbonne en décembre 2007. Quel est ce partenariat stratégique et en quoi diffère-t-il des relations actuelles entre l’UE et l’Afrique ?

Il s’agit du nouveau partenariat stratégique lancé par Louis Michel il y a 2 ans (et relayé au PE dans le cadre du rapport Martens). Les grandes lignes sont :
Se donner les moyens - d’abord financiers- pour réaliser les OMD.
Mieux cibler les priorités : santé, éducation et sécurité alimentaire.
Asseoir, par ailleurs, la gouvernance démocratique et les droits de l’homme et l’architecture africaine de paix et de sécurité.

Par rapport aux plans stratégiques antérieurs, la nouvelle stratégie n’est plus unilatérale, mais conjointe. Un dialogue est engagé. Une dimension parlementaire est ajoutée dans le suivi et la mise en œuvre du nouveau partenariat.

Quatre objectifs sont assignés à cette stratégie : assurer un partenariat politique, la promotion de la paix, relever les défis planétaires (environnement, sida...), le partenariat est axé "sur les personnes", valorisant les instances non étatiques.
Enfin, le principe de la "responsabilité de protéger" est consacré.

L’Union pour la Méditerranée doit-elle jouer un rôle dans la mise en place de ce partenariat ? Comment voyez-vous ce projet d’Union pour la Méditerranée ?

L’UPM est une remarquable idée et je sais gré au Président Sarkozy de l’avoir lancé et maintenu malgré les vicissitudes et les croques en jambes. Elle est essentielle pour notre partie du monde. La Méditerranée à l’échelle de la Planète est un lac. Il faut donc se parler et vivre ensemble entre riverains. Mais aider les pays du sud bordant la Méditerranée ne veut pas dire oublier l’Afrique. Bien au contraire, tout développement des pays du Maghreb ne pourraient être que bénéfique aux pays limitrophes notamment sub-sahariens.

L’aide humanitaire n’a pas exactement la même fonction que l’aide au développement, puisque son but dans la ligne des Conventions de Genève de 1949 d’assurer la protection des populations civiles, en cas de catastrophes ou de conflits. Quel est le rôle de l’Europe en la matière ?

Une fois encore un le premier rôle consiste en la mobilisation d’argent ; plus de 2 Milliards/an pour l’UE. Il s’agit ensuite de donner des impulsions et d’engager la réflexion sur ce que doit être en 2008 l’aide humanitaire. Cela a été le sens du Consensus sur l’humanitaire réfléchi et adopté par les 3 institutions de l’UE et qui nous sert de vade-mecum pour l’action.

J’ai eu aussi l’occasion de faire admettre le concept de catastrophes naturelles "prévisibles", entendons par là tous les cataclysmes qui sont dus au changement de climat (orage, cyclone, inondations, montée des eaux). On sait maintenant que ces catastrophes surviendront et on sait dans quels pays mais on ne sait pas précisément quand. Il faut s’y préparer.

Vous avez déposé le 20 mai 2008, aux côtés d’autres députés européens, une proposition de résolution du Parlement sur "la situation tragique en Birmanie". Face à l’entêtement de la junte qui préfère sacrifier la population plutôt que d’accepter les secours de l’extérieur, que peuvent faire les occidentaux et l’Europe en particulier ?

Ne pas l’admettre et estimer qu’il y a peu de différence entre tuer et laisser mourir. Il faut donc que les responsables birmans rendent des comptes à la Communauté Internationale. Il y a une graduation possible, de la saisie des biens au Tribunal international. C’est à l’ONU de prendre ses responsabilités. Mais le cas birman est tellement exemplaire qu’il ne peut que servir de référence à l’action.

L’actuel ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner a fortement milité en faveur du droit d’ingérence, une notion qui remonte au 17ème siècle lorsque Hugo Grotius dans "De Jure Belli ac Pacis" se référait à "un droit accordé à la société humaine" pour intervenir lorsqu’un tyran "ferait subir à ses sujets un traitement que nul n’est autorisé à faire subir". Etes-vous pour le droit d’ingérence, notamment en Birmanie ?

Je préfère la notion de "responsabilité de protéger". C’est une notion positive qui s’applique à tous gouvernements qui a l’obligation de protéger sa population des catastrophes naturelles bien sûr mais aussi de tout traitement inhumain tel que génocide, discrimination ethnique etc....Tout gouvernement doit s’y conformer mais s’il est constaté, et seul le Conseil de sécurité de l’ONU peut le faire, qu’un Etat faillit à cette notion universelle, alors la Communauté internationale aurait le devoir de s’y substituer pour pallier à l’inaction ou corriger une action négative du dit Etat.

Il me semble qu’il est très important que l’ONU clarifie ses vues sur ce sujet et en l’espèce, le cas birman, si caricatural, devrait faire avancer la réflexion.

Vous écrivez dans votre blog "Il est grand temps que le Droit International Humanitaire si souvent bafoué ou pas respecté soit sanctuarisé par une Convention Internationale et que tout manquement soit puni de façon imprescriptible" et vous annoncez : "C’est le sens de la proposition que je ferai lors de la Conférence Internationale sur le Droit de l’Humanitaire qui se tiendra à Bruxelles le 16 septembre prochain en liaison avec la Commission européenne et avec le Commissaire européen Louis Michel." Pouvez-vous en dire plus ?

Le 16 septembre prochain, j’organise en "co-production" avec le Commissaire Louis Michel au Parlement européen une grande Conférence Internationale sur le Droit International Humanitaire (DIH). Le DIH est la seule part de "civilisation" qui reste dans les conflits. Son respect est donc essentiel et comme je crois plus à la peur du gendarme qu’au réflexe d’humanité de la part des belligérants, je propose que le non-respect du DIH soit imprescriptible.

Cela signifie que tout manquement pourra être évoqué et puni même si la situation de conflits est terminée. Il faut rendre des comptes de son attitude en tant que guerrier. C’est pour cela que je propose de "sanctuariser" le respect de ce Droit dans une Convention ad hoc qui prévoit aussi la procédure de constat et la saisine du TPI ou d’un tribunal international approprié.


 

Informations sur Thierry Cornillet
Député européen (ADLE), membre de la commission du Développement, Thierry Cornillet est Rapporteur permanent au Parlement européen sur l’aide humanitaire, Thierry Cornillet est très investi et très actif dans les domaines de l’aide au développement et de l’humanitaire.
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