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Entretien du 6/10/08
David Thesmar
Professeur associé à HEC Paris

Les réponses concertées de l’UE à la crise devront davantage se situer au niveau de la régulation

Le Cercle des Européens : Après la faillite de deux des plus grandes banques d’investissement américaines, Lehman Brothers et Merrill Lynch puis le sauvetage du n° 1 de l’assurance mondiale, AIG (American International Group), la crise financière et bancaire frappe l’Europe, comme le prouvent les nationalisations de Fortis et de Dexia, ou le plan de sauvetage d’Hypo Real Estate en Allemagne. La crise en Europe est elle de même nature que celle qui sévit aux Etats-Unis ?

David Thesmar : La crise en Europe n’est pas tout à fait de même nature que celle aux Etats-Unis et elle est probablement un peu moins grave. On a assisté à l’évolution du modèle bancaire vers des intermédiations, c’est-à-dire que l’on passe par les marchés au lieu de passer par les dépôts. Vous avez de plus en plus d’argent dans le monde avec différents types de gérants. Vous avez en particulier sur le marché monétaire des personnes qui gèrent des sicavs monétaires et qui apportent de l’argent sur le marché monétaire qui est le marché interbancaire. Traditionnellement ces gens là n’existaient pas trop et les banques se prêtaient donc les unes aux autres. Il n’était alors pas possible pour une banque d’être structurellement déficitaire sur ce marché. L’apparition des investisseurs externes qui gèrent l’épargne des gens et ont de l’argent à injecter sur le marché, a permis aux banques de développer des modèles où elles sont structurellement déficitaires. Elles empruntent à la fois à leurs déposants et au marché monétaire, c’est par exemple le modèle de la banque britannique Northern Rock. Cela rend les banques structurellement dépendantes du marché monétaire. C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis sauf que les acteurs n’étaient pas des banques, contrairement à la situation en Europe. Il y a en Europe des problèmes du côté des banques commerciales, qui se sont exposées à ce risque. En revanche, il y beaucoup moins de banques d’affaires "pures" qu’aux Etats-Unis.

Du fait du traditionnel financement des banques par les dépôts, la régulation prudentielle se fondait sur la protection des déposants, il s’agissait d’éviter des faillites bancaires qui auraient impliqué ces déposants. Or ce système n’a pas trop été pensé pour les banques qui se financent sur le marché interbancaire.

Nicolas Sarkozy, président en exercice du Conseil européen, a pris l’initiative de réunir les quatre dirigeants européens du G8 (Angela Merkel pour l’Allemagne, Gordon Brown pour la Grande-Bretagne et Silvio Berlusconi pour l’Italie) lors d’un mini sommet à l’Elysée, le 4 octobre. Que pensez vous des engagements pris à l’issu de ce sommet, notamment celui visant à soutenir les établissements financiers européens en difficulté, en privilégiant les solutions nationales aux solutions européennes ?

Mon sentiment est tout de même qu’il y a beaucoup de banques en bonne santé, à l’image par exemple de BNP Paris Bas qui vient de racheter Fortis. Il y a toujours un marché pour les actifs cassés. Vous avez en gros les mauvaises équipes dirigeantes rachetées par les bonnes .Le risque que l’on puisse rencontrer serait qu’au moment où toutes les banques se cassent la figure, il n’y en ait pas une pour racheter les autres. A partir du moment où la logique de marché est saine, il faut absolument la privilégier.

S’agissant du soutien aux établissements financiers par les Etats, je ne suis pas sûr qu’il y ait besoin à ce niveau de solution européenne. Les Etats ont tout intérêt a essayer de sauver leur paysage bancaire. Si une banque fait faillite en France, l’Etat fera son possible pour la sauver, sans pour autant avoir besoin de recourir à l’aide d’autres Etats ou d’un fond européen. La coordination européenne n’est pas toujours une nécessité.

Les externalités qui disent que quand on fait quelque chose dans un pays de l’Union on se rend compte des effets dans les autres pays parce que nous sommes dans des pays intégrés est vrai dans un certain nombre de cas, comme la politique monétaire, mais je ne crois pas que cela soit nécessaire lorsqu’il s’agit d’éviter des faillites bancaires en chaîne.

Le problème du fond européen, c’est qu’à partir du moment où l’on ouvre une ligne de crédit certains vont courir pour aller à la caisse. La position qui vient d’être adoptée par les dirigeants européens et qui consiste à dire que cela se fera au cas par cas, par les Etats, est selon moi assez saine vis-à-vis des banques. Je pense que les réponses concertées au niveau de l’Union européenne vont davantage se situer au niveau de la régulation.

Le gouvernement irlandais a créé la stupeur en faisant adopter par la Parlement un plan visant à garantir l’ensemble des dépôts bancaires et des dettes à hauteur de 400 milliards d’euros, soit 2,2 fois le PIB de l’Irlande. Comment analysez vous ce "pari irlandais" ? Comporte t-il des risques de déstabilisation pour les autres Etats de l’UE ?

L’ordre de grandeur du plan irlandais est intéressant si on le compare à la proposition de fond européen qui est apparue dans le débat ces derniers jours. D’un côté vous avez 400 milliards de dollars pour l’Irlande seule alors que l’on parle de 300 milliards d’euros pour toute l’Europe !

Il ne s’agit pas nécessairement d’un pari risqué à partir du moment où il n’y a pas de faillite bancaire et surtout à partir du moment où l’Etat irlandais, qui a un budget excédentaire depuis de nombreuses années et une très forte capacité d’endettement, est crédible. On se rend compte ici que les marges de manœuvres budgétaires sont fondamentales.

Il est en revanche certain que ce plan comporte d’importants risques de déstabilisations pour les autres États. Encore une fois l’Irlande fait cavalier seul. Cette mesure est l’équivalent du dumping fiscal dans le domaine financier. On pourrait parler de "dumping financier". Le plan irlandais est pour cette raison un cas à part, il souligne la nécessité d’une certaine coordination mais à t-on vraiment envie que la coordination passe autrement que par la concurrence ? Si l’Irlande propose 400 milliards, cela veut dire que les autres doivent faire pareil.

Comment jugez vous l’action de la BCE qui d’un côté a procédé à une injection massive de liquidités dans le système monétaire européen depuis le début de la crise et d’un autre côté a décidé de laisser ses taux inchangés lors de la réunion de Conseil de gouverneurs le 2 octobre ?

Bien que la BCE ne fasse pas beaucoup bouger ses taux, elle mène à mon avis une bonne politique et a su gérer la crise d’une façon assez fine, en procédant vigoureusement à ces injections de liquidités. Vous avez un marché monétaire où les banques se prêtent traditionnellement entre elles mais où elles arrêtent de se prêter car elles ne se font plus confiance. Même a prix très élevés vous ne trouvez donc pas de prêteur. A partir du moment où les banques ne parviennent pas à se refinancer, il faut qu’elles vendent leurs actifs et dans ce cas là vous commencez à précipiter une spirale déflationniste sur les prix des actifs. On a donc des raisons de penser que ce mouvement de perte de confiance est excessif et dangereux et qu’un opérateur comme la BCE peut remettre de l’huile dans les rouages en prêtant sur ce marché de manière assez massive. Je ne pense pas que la BCE ait perdu quoi que se soit pour l’instant, mais il n’en reste pas moins qu’à chaque fois qu’elle injecte des liquidités elle prend un risque. Le risque est qu’une des personnes à qui elle prête fasse faillite, auquel cas c’est une perte et c’est le contribuable qui paie. C’est là le principal problème.

Quant à la baisse des taux, elle signifie avant tout donner de l’argent aux banques pour se refaire puisque celles-ci empruntent à court terme et prêtent à long terme. Lorsque vous faites cela, vous organisez un transfert entre les épargnants et les banques, ce qui n’est pas très sain.

La baisse des taux aurait peut être été bénéfique pour l’économie, mais d’un autre côté il faut souligner que les taux de la BCE ne sont dans l’absolu pas très hauts (4,25 %). Ce n’est du moins pas à cause de cela qu’une entreprise arrêtera d’investir. On tape beaucoup sur la BCE car cela est très commode dans le débat français, mais l’on peut pour l’instant se féliciter de son action.

Le plan de sauvetage du système bancaire américain de 700 milliards de dollars, défendu par le Secrétaire au Trésor, Henry Paulson a finalement été adopté par la Chambre des représentants le 2 octobre à l’issue d’un second vote. Les marchés financiers, qui continuent à subir de fortes chutes, n’ont toutefois pas été rassurés et le plan Paulson suscite de sérieux doutes chez les économistes. Que pensez vous de la viabilité et de l’efficacité de ce plan ?

Le principal problème du Plan Paulson, c’est qu’on ne sait pas à quel prix l’Etats va acheter les créances douteuses. Le contribuable se retrouverait à acheter les créances les plus toxiques sans contreparties et à un prix dont on ne sait pas s’il est juste ou non. Le contribuable ne va t -il pas surpayer ces créance faisant ainsi un cadeau aux actionnaires des banques commerciales ? Ce n’est pas forcement la meilleure utilisation de l’argent du contribuable et ce n’est, à mon avis, pas la façon la plus économe et la plus incitative de gérer le problème. La solution la plus économe et la plus incitative, que d’ailleurs beaucoup d’économistes américains préconisent, serait que la puissance publique aide les banques à se recapitaliser. L’Etat pourrait garantir la recapitalisation en prenant par exemple ce qui n’a pas été abondé par les marchés ou en garantissant les investisseurs et nouveaux actionnaires contre une chute. Cela permettrait de laisser les acteurs privés gérer ces problèmes là.

Par ailleurs, le Plan Paulson reste petit dans son financement par rapport aux pertes des banques. On retrouve là le même problème que pour le fond européen. Si le bilan des banques et de plusieurs trillions, vous encouragez les gens à partir le plus vite possible donc vous accélérez la faillite bancaire. Il y a là des effets pervers lié à la taille du Plan Paulson.

Ce plan pose également un gros problème d’aléa moral – bien que cela soit de second ordre lorsque l’on fait face à une crise systémique - car on se sait pas du tout si on aide les banques à se débarrasser des actifs douteux. A la limite, c’est aux actionnaires eux-mêmes de payer cela et non à la puissance publique.

Lors de son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 23 septembre, Nicolas Sarkozy, a appelé à réguler les marchés et moraliser le capitalisme financier. Faut-il selon vous une réforme du système Bretton Woods de 1944

Tout ceci est un débat assez théorique. On manipule des grands mots pour éviter de prendre de vraies mesures. La finance est quelque chose de compliqué, c’est tristement de la plomberie et de la technique. Il faut analyser tout cela finement pour proposer des solutions qui, bien entendu, existent. Ce que j’entends par "moraliser le capitalisme financier" c’est par exemple le problème de la rémunération des traders, qui n’est à mon avis pas très efficace. Le fait de payer de gros bonus aux traders, sans que les pertes n’influent sur ces bonus, les pousse à investir à court terme ce qui n’est pas très bon pour le marché dans son ensemble mais aussi pour les institutions par lesquelles ils sont embauchés. Ceci souligne un problème de gouvernance des banques. Elles ont bien conscience de ce problème de rémunération des traders mais soit elles ne peuvent pas faire mieux– ce qui serait un peu désespérant -, soit cela indique qu’il y un système qui fonctionne mal, dans lequel les actionnaires ne sont pas assez parties prenantes et où les décisions se prennent par un Conseil d’administration, capturé par le management qui sont, à partir d’un certain niveau, eux même d’anciens traders.

Sur la question des "parachutes en or", à partir du moment où c’est un contrat signé entre deux parties informées et consentantes, au moment de l’embauche du patron, il n’y pas de raison de l’interdire. Cette question des parachutes en or est de second ordre, mais elle a une forte valeur symbolique. De plus si elle renvoie à un problème c’est bien encore une fois à celui de la gouvernance des banques.

Quant à la capacité des institutions financières internationales à réguler ou à moraliser le capitalisme financier, je ne me fais pas trop d’illusions. Je ne crois pas par exemple en la capacité du FMI à jouer le rôle de régulateur mondial. C’est à mon avis beaucoup plus au niveau européen que l’on pourrait parvenir à des résultats. Essayons de convaincre les Britanniques avant d’essayer de convaincre les Etats-Unis ou les îles Caïmans !

Lors du Conseil EcoFin de Nice, les 12 et 13 septembre derniers, les ministres de l’économie et des finances européens, ont cherché à mettre en place de nouveaux instruments permettant une supervision mieux coordonnée des établissements financiers européens transfrontaliers. Or, la solution qui semble se dégager et celle d’une supervision basée sur le travail collégial des autorités nationales. Peut on envisager un système européen de supervision efficace sans autorité centralisée ?

Sans administration centralisée cela semble en effet difficile de régler des problématiques qui sont fondamentalement transnationales. Il y en particulier un certain nombre de questions qui se posent autour du problème de l’opacité. Les marchés de gré à gré ne sont par exemple pas organisés. Les banques sont connectées entre elles à travers un réseau d’actifs et de passifs, mais vous ne savez pas ce qu’elles se doivent les unes aux autres. Vous n’avez donc pas idée de la façon dont est construit le château de cartes. Ceci est en partie lié au fait que les autorités sont nationales. Le régulateur européen servirait donc à contrôler ces liens.

Il faut également remédier à l’asymétrie entre d’un côté l’achat par les investisseurs d’actions, qui donne lieu à de nombreuses analyses et contrôles, et de l’autre côté, l’achat d’obligations, de crédits, ou dérivés de crédits pour lesquels il n’y a pas autant de contrôles et où les investisseurs acceptent au pied de la lettre les avis des agences de notations. Un régulateur pourrait également pallier à ce défaut en centralisant l’information.

Le 23 septembre, le Parlement européen a adopté deux rapports appelant formellement la Commission à prendre des mesures législatives pour améliorer la régulation et la transparence du secteur financier, notamment en matière de fonds spéculatifs (hedge funds), de fonds de capital-investissements (private equity) et de fonds d’investissements privés, s’opposant ainsi au Commissaire au Marché intérieur, Mc Creevy, pour qui ces fonds ne sont pas à l’origine de la crise. Quelle est votre analyse ?

Oui, c’est un fait, ces fonds ne sont pas à l’origine de la crise. Il n’y a pas, voir aucun fond de private equity qui ait fait faillite. Ce sont les investisseurs les plus long-termistes. Ils ne sont pas du tout impliqués dans le crise actuelle. Il y a eu en revanche une bulle au private equity, c’est-à-dire que les banques se sont battues pour prêter moins cher et de plus en plus aux private equity.

Je serais un peu plus partagé concernant les hedges funds. Ils ont pour l’instant relativement bien tenu le coup, même si vous avez eu des fermetures. Le hedge funds est un investisseur relativement long termiste par rapport au marché et il bénéficie en général d’un passif assez solide. En revanche, certaines positions sont génératrices d’instabilité et sont opaques. Le problème des hedges funds c’est qu’ils opèrent de façon assez secrète sur le marché. La solution pourrait donc consister non pas à diffuser l’information de façon générale, ce qui serait inacceptable, mais peut être à informer le régulateur des actifs et des passifs des principaux acteurs.

Avec le private et equity et le hedge funds, nous avons là affaire avec deux segments de l’économie financière qui font partie de l’élite, composés des meilleures personnes et de grands investisseurs

Comment trouver le bon équilibre en matière de régulation ?

Je n’ai pas une confiance illimitée dans la régulation. Il y des choses faisables et à faire. Il y a mon avis tout ce qui relève de l’engagement hors bilan qui doit être réintégré dans les ratios prudentiels des banques. A ce niveau les régulateurs ont été coupables car ils ont laissé faire. Il y a tout ce qui relève de la centralisation de l’information, dont j’ai parlé précédemment. La régulation doit également porter sur les marchés de gré à gré car c’est là où il y a de gros problèmes. Il y a par comparaison beaucoup plus d’information sur les marchés de dérivés.

Il faudra enfin se poser une questions que personne ne soulève : pourquoi certains ont acheté du triple A qui rapporte 10% sans se poser de questions ? Cela reste un mystère. Pourquoi les gestionnaires d’actifs étaient prêts à acheter ces produits toxiques ? La vraie discipline serait d’empêcher que de tels manœuvres se reproduisent. Il y dans l’économie un contrôle naturel qui là n’a pas fonctionné et je pense qu’il faudra s’interroger là-dessus pour améliorer la régulation.


 

Informations sur David Thesmar
David Thesmar, Professeur associé au sein du département finance et économie d’HEC Paris et Directeur du BNP Paribas Hedge Fund Centre à HEC. En 2007, David Thesmar a obtenu le "Prix du meilleur jeune économiste de France", décerné par Le Monde et le Cercle des économistes, ainsi que le Prix HEC du chercheur de l’année 2007. Ses travaux de recherche portent sur la corporate finance, la gouvernance d’entreprise et l’évaluation des réformes dans le secteur financier.
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