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Entretien du 22/12/08
Amiral de Lastic
Amiral - Cabinet du Premier Ministre

Atalante est la première opération maritime dans le cadre de la PESD, mais les coopérations entre marines européennes sont très nombreuses

 Les ministres européens de la Défense ont autorisé, le 10 novembre, le lancement de la première opération navale de l’histoire de la PESD dont l’objectif est de lutter contre la piraterie au large de la Somalie et dans le golfe d’Aden. Pouvez nous nous préciser les modalités de cette opération "EU NAVFOR Atalante", qui a débuté le 8 décembre, ainsi que le rôle de la France ?

Face à la recrudescence de la piraterie dans la Corne de l’Afrique, la Communauté internationale ne pouvait rester inactive. La France a été particulièrement entreprenante dans tout le processus qui a conduit au lancement de l’opération de l’Union européenne baptisée "Atalante". La France a d’abord été précurseur puisque dès novembre 2007, elle a lancé une opération de protection des navires du programme alimentaire mondial de l’ONU. Elle a, de plus, elle-même agit pour la libération d’otages détenus par les pirates dans les affaires du Ponant et du Carré d’As, deux voiliers pris d’assaut au large de la Somalie. La France a également joué un rôle moteur dans l’élaboration et le vote des résolutions de l’ONU qui ont rendu possible et qui ont légitimé l’opération "Atalante". Enfin, dans le cadre de sa présidence de l’Union, la France s’est employée à convaincre ses partenaires européens de lancer cette opération.

Le principe de l’opération en effet été adopté en novembre dernier et elle a effectivement débuté le 8 décembre. Il y a actuellement sur zone deux frégates, une britannique et une française. Une frégate grecque, à bord de laquelle se trouve l’Amiral qui commande le dispositif, est également arrivée à Djibouti. Il faut y ajouter trois avions de patrouille maritime, mis à disposition par les marines espagnoles, allemandes et françaises. Ils apporteront des informations essentielles pour la connaissance des activités maritimes dans la zone. Il faut noter que ces aéronefs travailleront à la fois au profit de l’opération "Atalante" et de l’opération "Liberté immuable" de lutte contre le terrorisme dans le nord de l’océan Indien. Des bâtiments espagnols et allemands sont attendus dans les semaines à venir. Huit pays se sont engagés à participer à cette mission : la France, l’Allemagne et la Grèce déploieront en permanence une frégate et occasionnellement des avions de patrouille maritime, tandis que le Royaume Uni, l’Espagne, les Pays-Bas, la Suède et la Portugal déploieront soit des frégates, soit des avions, sur une durée plus courte.

La durée de l’opération est fixée à un an. Elle vise avant tout à garantir l’accès des navires du programme alimentaire mondial notamment vers la capitale somalienne, Mogadiscio, mais également à assurer la protection des autres navires de commerce et contribuer ainsi à réduire la piraterie. Elle est commandée depuis Londres par un Etat major multinational. Le commandement sur le lieu de l’action sera dans un premier temps assuré par un amiral grec, puis par un amiral néerlandais et enfin par un espagnol.

Cette opération présente un certain nombre de difficultés. Tout d’abord, elle a lieu à 5 000 km des ports-bases des pays européens. S’agissant ensuite des règles de comportement et d’engagement, le cadre juridique découle du droit international de la Mer et plus particulièrement de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de Montego Bay, que les pays européens ont diversement traduit dans leur droit national. Ce qui signifie concrètement qu’en cas d’action et de poursuite judiciaire, les navires appliqueront leurs propres règles nationale. Autre limite, la zone est immense et représente plusieurs fois la France. Les navires vont couvrir toute la partie Nord et on peut donc s’attendre à un déplacement des pirates vers le Sud. Des opérations de pirates au large du Kenya et même de la Tanzanie ont d’ailleurs déjà été signalées.

"Atalante" s’intéresse aux conséquences et non aux causes de la piraterie et il faudra profiter de la durée de cette mission pour s’atteler à ces causes.

Le fait que le commandement de cette mission soit basé à Londres constitue- t –il un signe encourageant quant à l’implication de la Grande Bretagne dans l’Europe de la Défense ?

Aujourd’hui, on ne peux pas conduire d’opération maritime européenne d’envergure sans la France et la Grande Bretagne et l’opération "Atalante" n’aurait pu être lancée sans la participation des Britanniques, ce qui explique et justifie le positionnement près de Londres de l’Etat major. Par ailleurs, le poste de commandement français qui est au Mont Valérien est actuellement utilisé pour l’opération EUFOR Tchad (opération militaire de transition dans l’est du Tchad et le nord-est de la République centrafricaine, lancée le 28 janvier 2008 par l’Union Européenne). Le commandement d’"Atalante" est donc assuré par un Amiral britannique avec un Etat major multinational. Le numéro deux est un français, mais il sera remplacé au bout de six mois par un allemand.

Quels sont les précédents en matière de coopération maritime européenne ?

Toutes les marines du monde partagent le même espace de déploiement. Les océans sont en effet communs à tous et toutes les marines du monde s’y côtoient en permanence. Les marines européennes appartiennent pratiquement toutes à l’OTAN et ont l’habitude de travailler ensemble depuis des décennies. Elles utilisent des procédures, des règles, des tactiques et des moyens de transmissions communs, ou du moins, inter opérables puisque ce sont des procédures OTAN. Les coopérations entre marines européennes sont donc extrêmement faciles et très nombreuses. L’un des exemples les plus abouti est EUROMARFOR , une force maritime sous commandement français qui réunit : la France, l’Espagne, l’Italie et le Portugal. Elle a déjà été déployée dans le nord de l’océan Indien dans le cadre de l’opération "Liberté immuable" et elle assure actuellement le volet maritime de l’opération au Liban sous mandat des Nations Unies (La FINUL).

"Atalante" est la première opération maritime dans le cadre de la PESD mais ce n’est pas la première opération maritime européenne. En effet, au cours des années 1990, l’UEO, l’Union de l’Europe occidentale, a conduit différentes opérations d’une part dans le Golfe Persique, suite à la guerre du Golfe, d’autre part dans la mer Adriatique à l’occasion de la guerre en ex-Yougoslavie.

Quels sont les liens entre l’opération "Atalante" et les forces de l’OTAN déjà déployées dans cette région ?

L’OTAN est en train d’achever un déploiement dans l’océan Indien au cours duquel un certain nombre de bâtiments ont été détachés pour lutter contre la piraterie. Dans les faits, l’opération de l’OTAN s’achève quand commence celle de l’UE. Le fait que la mission "Atalante" vienne relever l’OTAN constitue d’ailleurs à mon sens un signal fort.

Sur le plan technique, les navires qui participent à la mission "Atalante" sont pour la plupart des navires de l’OTAN, c’est à dire qu’ils appliquent les procédures OTAN, ce qui explique que les coopérations entre les forces maritimes de l’UE et celles de l’OTAN soient si faciles. En fait, rien ne les différencie sur un plan tactique. La différence se fait en revanche sur le plan politique, c’est-à-dire sur la définition des objectifs finaux des opérations.

Comment expliquez vous que parmi les 18 opérations lancées depuis 2003 au titre de la PESD, aucune n’avait jusqu’à présent concerné la Marine ?

Il faut tout d’abord préciser que les trois quarts de ces opérations sont de nature civile. Il n’y a eu que 5 opérations militaires : au Congo, en Macédoine, en Bosnie-Herzégovine, au Tchad et en partie au Soudan . "Atalante" est donc la 6ème opération militaire de la PESD, mais bien la première de nature maritime.

La PESD tire son origine d’un constat d’échec de l’Europe en ex-Yougoslavie et de la nécessité de travailler différemment de ce qui avait pu être fait jusque là. Les missions maritimes de l’UEO, que j’évoquais à l’instant, ont souffert de cette vision négative. Pour marquer cette rupture la PESD s’est essentiellement basée sur des missions terrestres, ce qui était largement une affaire d’affichage car selon moi, la mer est un excellent domaine pour des missions de la PESD. Les missions de la PESD – dans le cadre des missions dites de Petersberg - couvrent un ensemble de domaines qui vont de l’humanitaire au rétablissement de la paix et qui sont aux limites du civil et du militaire. Or, en mer, ces deux aspects sont encore plus imbriqués qu’ailleurs, ce qui rend les marines particulièrement à même de conduire des missions de PESD. Il faut d’ailleurs préciser que la plupart des marines interviennent dans des missions non militaires. La Marine française consacre, par exemple, un tiers de son activité à des missions civiles.

L’Union européenne dispose-t-elle de moyens suffisants et suffisamment coordonnés (en termes industriels ou humains) pour pouvoir constituer une force navale adaptée à son statut de puissance maritime et rivaliser ainsi avec les autres puissances mondiales ?

Je dirais que la réponse dépend beaucoup du domaine concerné. En terme d’industries, l’Europe à toutes les capacités techniques nécessaires. Les industries de construction navale et les bâtiments qu’elles produisent figurent parmi les meilleurs au monde. On peut simplement regretter la dispersion des industriels européens, essentiellement entre français, allemands, britanniques, espagnols et italiens, qui sont le plus souvent en situation de compétition sur les marchés à l’export et ne produisent pas les séries de matériel qui permettraient de baisser les coûts unitaires. Sur ce point, la montée en puissance de l’Agence européenne de la défense devrait permettre d’améliorer les choses. Cette agence devrait jouer un rôle fédérateur en identifiant des réponses communes aux besoins des différents pays.

En termes humains, les marins européens sont là encore parmi les meilleurs au monde. En matière de commandement, le niveau limité des opérations conduites par l’UE – maritimes ou non – permet d’utiliser un centre de commandement fourni par un Etat membre – à Londres pour "Atalante" ou au Mont Valérien pour l’EUFOR - mais à terme, l’UE devra disposer d’un Etat major permanent, un véritable centre de planification et de conduite des opérations.

En terme de capacités pures, la situation est de mon point de vue beaucoup plus médiocre. La marine européenne – qui est une marine virtuelle – comporte autant de bâtiments que l’US Navy mais avec un tonnage deux fois inférieur, ce qui signifie que c’est une marine de petits bâtiments, à vocation côtière. Elle a donc beaucoup de difficultés à conduire une opération maritime en haute mer (la photo ci-dessous démontre que s’engager les conditions en haute mer nécessite des bâtiments d’un certain tonnage). La flotte de haute mer européenne est d’ailleurs à 60% britannique et française. L’Europe ne dispose donc pas assez de bâtiments capables d’être déployés loin et longtemps. Sa capacité d’acquérir la maîtrise du milieux est donc très limitée, de même que sa capacité à agir de la mer vers la terre ou en soutien à une action conduite à terre. A titre d’exemple, l’Union européenne ne dispose aujourd’hui que d’un seul porte-avion, le Charles de Gaulle, alors que les Etats-Unis, avec un PIB comparable a celui de l’Europe, en possèdent 11 !

Y a-t-il selon vous en Europe une vision commune et cohérente des enjeux stratégiques que représente l’océan ?

Sur un plan européen, les enjeux maritimes sont essentiellement perçus de manière sécuritaire et côtière. Il y a là un net décalage avec la vision française qui est une vision océanique, de déploiement sur toutes les mers du globes. En ce qui concerne les instances européennes, la mer a traditionnellement été abordée de manière sectorielle. Le premier pilier s’intéresse à l’économie, aux transports maritimes et à l’environnement ; le deuxième pilier concerne la PESD, avec son volet maritime ; et le troisième pilier concerne tout ce qui est relatif aux trafics et à l’immigration clandestine. Il y a donc une vision éclatée de la mer. Or, la mer est un tout et nécessite d’être traitée de façon globale.

Le Livre bleu sur la politique maritime, présenté en octobre 2007, marque toutefois une prise de conscience en préconisant une politique maritime. Sa mise en œuvre passe par la mise sur pied d’une gouvernance, dont les bases ont été jetées par l’identification de points de contacts nationaux. Ce Livre bleu contient deux axes majeurs : l’interconnexion des systèmes de surveillance des Etats pour couvrir l’ensemble des zones d’intérêt européen. L’objectif est de disposer, à terme, d’un réseau intégré de surveillance maritime. Le deuxième axe porte sur l’amélioration de notre connaissance de la mer. Les océans jouent en effet un rôle majeur en terme de climat ou de biodiversité, mais les connaissances restent relativement faibles.

En résumé, l’Europe maritime est en train de se construire et de se structurer à travers trois axes que sont : la gouvernance, la surveillance et la connaissance du milieu maritime.

Quels sont dans le domaine maritime, les grands défis mondiaux auxquels l’Europe est aujourd’hui confrontée ?

Je dirais que ces défis couvrent trois grands domaines : l’économie, l’environnement et la sécurité. En terme économique, l’économie du monde est maritime : 90 % des échanges internationaux utilisent la voie maritime, de même que 90 % du commerce extérieur de l’UE. L’Europe est donc extrêmement dépendante du trafic maritime, en particulier pour son approvisionnement en énergie et en matières premières. Une perturbation même limitée de ces flux aurait de très lourdes conséquences. C’est en partie pour cela que l’UE s’est engagée dans l’opération "Atalante". Malgré cette dépendance, L’UE est toutefois encore loin d’avoir les capacités nécessaires pour maintenir ces flux ouverts.

La mer c’est aussi les trois quart de la planète. Elle joue un rôle essentiel du point de vue de l’équilibre climatique et de la préservation de la biodiversité.

La mer c’est aussi le dernier espace libre de la planète. Cette liberté profite au commerce, aux échanges et au développement mondial, mais elle profite également aux trafics de toutes sortes : trafic de drogue - à titre d’exemple, la Marine française saisit chaque année 12 à 15 tonnes de drogue, ce qui n’est qu’une infime partie de ce qui transite en mer -, trafic d’armes et des moyens de production d’armes de destruction massive, ou encore l’immigration clandestine, dont les effets peuvent être extrêmement déstabilisant pour les États. L’Europe doit donc prendre conscience de ces trafics et trouver les moyens d’y faire face.

Pensez vous, comme l’a déclaré le Ministre de la Défense, Hervé Morin, que l’on assiste à une relance de la PESD, 10 ans après le sommet de franco-britannique de Saint Malo ?

L’Europe, et singulièrement la politique européenne de défense et de sécurité commune, est une œuvre de longue haleine. La PESD progresse de manière lente, peut être trop lente pour l’observation humaine, il y a au sein de cette progression des événements saillants comme le Sommet de Saint Malo de 1998, qui marque le ralliement de la Grande Bretagne à la PESD. La présidence française constitue à mes yeux, l’un de ces grands moments. A cette occasion, la France a proposé des objectifs pas toujours spectaculaires, mais nombreux et réalistes, l’intention étant de ne pas susciter de contre réaction ou de blocage pour avancer concrètement. Il faut souligner que quasiment tous les objectifs ont été atteints. Parmi ceux là, je citerais :
- l’Erasmus militaire, qui vise à créer une conscience européenne chez les militaires à travers les échanges entre les écoles de formation, pratique qui existe déjà entre les Ecoles Navales Françaises et Allemandes ;
- l’accord portant création d’une flotte européenne de transport aérien ;
- le lancement du projet MUSIS, projet militaire d’observation de la terre par satellite
- en matière navale : la décision de l’initiative pour l’interopérabilité aéronavale européenne, IIAE, qui vise la constitution d’une force de réaction rapide européenne. Il ne s’agit pas de nouvelles structures mais simplement d’échanges dans les programmes d’entrainement, d’entretien des bâtiments et plus généralement des bonnes pratiques. Cette force sera articulée autour de porte aéronef
- et il y a bien sûr le lancement de l’opération "Atalante" où la France a joué un rôle moteur.

Quelles sont les implications du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, présenté par le Président de la République en juillet dernier, au niveau de la Marine ?

Cette approche qui mélange, comme le titre du Livre blanc l’indique, défense et sécurité, conforte le positionnement de la Marine qui est à la fois armée de mer, outil de défense, mais aussi Marine nationale, soit un des outils dont dispose l’État pour agir en mer. Avec d’autres administration dont les Douanes et les Affaires maritimes, la Marine assure la fonction de garde côtes. Le Livre Blanc insiste aussi sur la globalisation, qui est avant tout une maritimisation du monde, par l’accroissement des échanges, qui, je l’ai dit précédemment, se font à 90% par voie maritime. En ce qui concerne plus précisément la Marine et ses moyens, le Livre Blanc conforte la composante océanique de la dissuasion. Il établit une corrélation entre rôle mondial et possession d’une marine de haute mer.

Au total le Livre blanc éclaire et valide les missions de la Marine nationale.


 

Informations sur Amiral de Lastic
L'Amiral de Lastic est Commandant du Centre d’enseignement supérieur de la Marine (CESM).
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