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Entretien du 12/01/09
Frédéric Encel
Directeur de recherche à l'Institut français de Géopolitique

L’envoi d’observateurs européens dans la bande de Gaza fait partie des négociations conduites sous l’égide de l’Egypte

 Dans quel contexte est intervenue l’opération militaire lancée par Israël le 27 décembre 2008 dans la bande de Gaza contre les positions du Hamas ? Et notamment, quel a été le déclencheur de la rupture de la trêve établie depuis le 19 juin 2008 entre Israël et le Hamas, qui a repris ses tirs de roquette contre le Sud d’Israël ?

La trève avait jusque-là été relativement suivie. Mais plus encore que l’annonce de sa rupture par le Hamas, l’ampleur de son offensive à base de missiles sur trois villes d’Israël ont déclenché la riposte de l’Etat juif. Au fond, ce qui a surpris le Hamas et presque toutes les chancelleries, c’est le caractère massif de cette réaction israélienne plutôt que son avènement en soi.

Le conflit actuel rappelle celui de 2006 au Liban avec l’intervention d’Israël contre le Hezbollah libanais. Quels sont les liens entre ces deux conflits successifs ?

Le lien, c’est d’une part la dimension asymétrique du face à face dans les deux cas – groupes paramilitaires et socio-religieux, contre Etat constitué – et d’autre part le lâchage du Hezbollah hier et du Hamas aujourd’hui par les chancelleries arabes. Pour le reste, les Israéliens n’ont pas répété l’erreur d’exprimer des buts de guerre irréalistes. Cette fois, il ne s’agit pas officiellement de détruire le Hamas mais seulement d’entraver ses capacités d’action.

Des tirs de roquettes ont été tirés sur le Nord d’Israël le 8 janvier 2009 depuis le Liban. Doit on craindre l’ouverture d’un second front à la frontière entre Israël et le Liban et l’intervention du Hezbollah dans le conflit ?

Non. Le Hezbollah n’est pas prêt à mourir pour les Palestiniens ! Lui qui écrasa Sabra et Chatila en 1985 et cherche à se débarrasser des Palestiniens du Liban… Ces roquettes ont été tirées par le groupe palestinien d’Ahmed Jibril, implanté près de Tyr. Mais l’acte est très symbolique.

Ariel Sharon – dont on ne sait d’ailleurs s’il est mort ou encore dans le coma – a décidé le retrait unilatéral d’Israël de la bande de Gaza en 2004, se heurtant d’ailleurs à l’époque à la frange nationaliste de sa coalition. Cela s’est-il révélé à l’épreuve du temps une si bonne initiative ?

Question centrale et fort débattue en Israël ! Là bas, les gens pensent qu’à chaque fois que Tsahal se retire d’une zone, celle-ci de transforme en bastion terroriste d’où vient la guerre : le sud-Liban en mai 2000 (zone de sécurité), et donc Gaza en septembre 2005. Je continue de penser que ce fut une bonne chose pour Israël car Sharon a marqué alors de nombreux points moraux et politiques, vis-à-vis des Européens notamment. Et puis les Israéliens ne souhaitaient plus occuper plus d’un million d’Arabes. Mais pour l’Autorité palestinienne, faible et corrompue à l’époque, ce fut un cadeau empoisonné tant le Hamas y était déjà implanté.

Le Hamas est toujours considéré comme une organisation terroriste par les Européens, et non pas seulement par les Américains. Comment envisager des négociations entre Israël et le Hamas dans ces conditions ?

Sur le plan politique, c’est impossible. Le Hamas a rejette les trois conditions posées par le quartet (ONU, UE, Etats-Unis, Russie) pour sa légitimation : reconnaissance d’Israël, acceptation des traités signés par l’Autorité palestinienne (donc Oslo), arrêt de la violence. Si même l’ONU et les Européens l’exigent, Israël ne se contentera pas de moins. En revanche, sur le plan militaire, des pourparlers ont déjà eu lieu – cf la trève de 2008 – et auront lieu de nouveau. Mais in fine, la paix se joue dans le giron du politique, non du militaire.

Des négociations pourraient s’ouvrir sous l’égide du Président Egyptien Moubarak et à la suite de la tournée dans la région du Président français Nicolas Sarkozy. Quel a été le rôle diplomatique respectif des deux dirigeants ?

Moubarak prétend aujourd’hui accepter de contribuer à éteindre le feu qu’il laisse se propager depuis des années ! Accusé par ses Frères musulmans, des extrémistes islamistes, de faiblesse voire de trahison du fait qu’il maintient un état de paix avec Israël (paix de Camp David de 1978), il donne le change en permettant au Hamas de creuser des dizaines de souterrains sous la frontière Egypte-Gaza ; c’est la voie royale d’approvisionnement du Hamas en missiles. Du reste, il refuse catégoriquement que des Casques bleus viennent surveiller la frontière de son côté. Quant à Sarkozy, c’est le tout premier président français de l’Histoire a s’être déplacé d’urgence au Proche-Orient pour tenter de régler une crise grave. Il a obtenu peu – la trève quotidienne de 3 heures – mais dans le contexte actuel c’était déjà beaucoup. En outre, sa position équilibrée lui permet d’être audible tant par les Palestiniens que par les Israéliens.

Le Haut représentant pour la politique extérieure de l’UE, Javier Solana, a appelé Palestiniens et Israéliens à un cessez-le-feu à Gaza, assurant que l’Union européenne était prête à contribuer à une mission d’observateurs internationaux pour le maintien de la paix. Pourtant sa voix semble peu entendue. Cet effacement du Haut Représentant n’est-il pas regrettable compte tenu de la nécessité de renforcer l’influence de l’Europe en tant que telle sur la scène internationale ?

Si bien sûr. D’où l’intérêt d’avoir aussi des volontés et des personnalités fortes parmi les quatre puissances européennes. Et actuellement le président français occupe la place de leader de l’Union européenne même s’il n’en est plus officiellement le président.

Sur quoi pourraient porter les éventuelles négociations proposées par Moubarak/Sarkozy et quel aboutissement peut-on en espérer ?

La neutralisation de l’axe "Philadelphie", soit la frontière Egypte-Gaza, le retrait total des troupes israéliennes, et l’envoi d’observateurs européens ou autres sur quelques points névralgiques de la bande de Gaza.

Cette guerre ne sonne-t-elle pas le glas du processus d’Annapolis lancé par l’Administration Bush en 2007 et soutenu par le Quartet formé par les Etats-Unis, la Russie, l’ONU et l’Union européenne ?

Non, parce que l’Autorité palestinienne n’est pas en conflit avec Israël, même s’il y a risque d’affaiblissement du prestige (s’il en reste) de Mahmoud Abbas. Au contraire, si le Hamas sort vaincu de cette confrontation, Abbas aura paradoxalement les coudées plus franches pour poursuivre le dialogue. Mais il y a une grande inconnue : le résultat du scrutin israélien du 10 février et le gouvernement qui en sortira.

Malgré l’importance de l’aide humanitaire de l’UE à l’Autorité palestinienne, celle-ci n’a pas permis d’empêcher l’aggravation des conditions de vie de la population, ni le coup de force du Hamas en juin 2007, et n’a pas eu d’effet à plus long terme sur le processus de paix. Comment expliquer cet échec ?

La gestion des aides internationales par l’OLP puis l’Autorité palestinienne était calamiteuse jusqu’en 2006. Hélas, l’exaspération sociale et économique de la population, notamment liée à ce fait, a joué en faveur du Hamas comme il a pu joué naguère dans l’Europe en crise économique. Les extrémistes, religieux ou pas et pas seulement dans le monde musulman, sont toujours très prompts à distribuer la soupe populaire que le pouvoir central ne prodigue pas. La suite est connue…

Depuis la victoire du Hamas aux élections législatives de janvier 2006 et le putsch qui lui a permis de prendre le contrôle de la bande de Gaza en juin 2007, quels changements a-t-on pu observer au sein de la population palestinienne de Gaza ?

C’est un désastre : sharia sévèrement appliquée aux femmes, y compris aux chrétiennes, tortures de membres du Fatah, assassinat d’homosexuels et d’opposants (ou présumés tels), meurtres sur des chrétiens, militarisation à outrance et culte du martyr, etc. Bref, l’application des termes de la Charte du Hamas édictée dès 1988. Je déplore du reste que nul n’évoque cette situation.

Quel est l’avenir de l’Autorité palestinienne, retranchée en Cisjordanie, dont le président Mahmoud Abbas voit s’achever son mandat le 9 janvier 2009 ?

Du fait du putsch du Hamas sur Gaza et de la crise actuelle, le pouvoir est prorogé de plusieurs mois. Je pense qu’il faut à tout prix soutenir les efforts de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas.

La solution pour la paix n’est-elle pas la création d’un "grand Marché commun proche-oriental" - voire d’une Communauté politique "abrahamique" réunissant Juifs et Arabes ?

Je crois que le politique prime l’économique et non l’inverse. J’ai toujours critiqué l’utopisme euphorique des accords d’Oslo bâtis sur ces chimères. D’abord l’entente sur la souveraineté, la matière politique précieuse, puis l’économie. Jamais l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France n’avaient autant échangé qu’en 1913 ; cela n’évita pas la Grande guerre. Quant à votre concept abrahamique, je l’inscrirai volontiers dans un volume de contes pour enfants ! Il est charmant mais ne correspond pas aux réalités géopolitiques. Que les diplomates, les politiques ou les généraux occupent l’espace politique ; les imams et autres rabbins seront bien assez occupés à prier pour le succès de leurs pourparlers, et cela dans l’espace religieux. César et Dieu, chacun à sa place…


 

Informations sur Frédéric Encel
Frédéric Encel, Docteur en géopolitique, Directeur de recherche à l’Institut français de géopolitique, Professeur de relations internationales (ESG), Maître de séminaires à Sciences-Po Paris. Auteur de "Atlas géopolitique d’Israël : Aspects d’une démocratie en guerre", Autrement, 2008.
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