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Entretien du 1/04/09
Jacques de Larosière
Ancien Directeur Général du FMI

Régulation, supervision, macrosurveillance : Le FMI pourrait jouer un rôle tout à fait déterminant

 Quelles sont selon vous les causes profondes de la crise financière inédite que nous vivons aujourd’hui ?

Ces cause sont tout d’abord à rechercher dans les déséquilibres structurels des balances des paiements des États-Unis d’une part, et des excédents structurels des pays émergents comme la Chine ou le Moyen-Orient d’autre part. Il faut savoir que ces pays structurellement créditeurs ont assez systématiquement fixé leur parité de change sur le dollar, ce qui a entrainé des accumulations massives de réserves et donc une création de liquidités considérable. Les conséquences de ce phénomène ont été renforcées par la politique monétaire très laxiste menée notamment aux États-Unis depuis une dizaine d’années, conduisant à des taux d’intérêts proches de zéro en termes réels (c’est-à-dire une fois déduits des taux nominaux, les attentes inflationnistes). Dans un environnement caractérisé par des taux d’intérêts réels proches de zéro et des liquidités très abondantes, la tendance a été la recherche des rendements plus élevés que ce que les bas taux d’intérêts ambiants peuvent produire, ce qui accroissait le risque des instruments créés et offerts aux investisseurs. Cet accroissement du risque n’a pas été compensé par des primes de risques suffisantes, c’est-à-dire par un coût payé par le débiteur qui soit adapté au risque pris par la banque ou l’investisseur. C’est ce phénomène de "spreads" très réduits qui a aussi contribué à l’emballement général. On pouvait en effet bénéficier d’instruments représentatifs de crédits qui rapportaient plus que les taux d’intérêts qui nous environnaient ,avec des rémunérations très faibles pour le risque de telles opérations.

Tout ceci a été facilité par l’abus de la titrisation, soit la faculté qu’ont les établissements financiers de ne pas conserver sur leur bilan les crédits qu’ils émettent et de les vendre sur le marché. Il est de fait que des quantités considérables de crédits ont été titrisées alors qu’ils n’étaient pas toujours d’une très bonne qualité, comme l’expérience l’a montré.

Il y a en plus de ces deux points, une série d’incitations née de la réglementation ou de la déréglementation, selon les cas, qui ont contribué à l’exacerbation du phénomène que je viens d’évoquer. Le système réglementaire qui s’imposait aux banques – Bâle II – était un système basé sur la sensibilité au risque : plus les expositions au risque étaient dangereuses, plus il fallait y consacrer de fonds propres. Le malheur a voulu que Bâle II se soit reposé sur les modèles internes des banques qui étaient destinés à calculer la probabilité de survenance de défaut, modèles internes qui se sont avérés trop optimistes et fondés sur des séries statistiques beaucoup trop courtes. Ces modèles n’ont donc pas intégré suffisamment ce qu’on appelle l’ensemble du cycle économique, qui comprend toujours une période de retour vers la dépréciation des avoirs. Le fait que Bâle II se soit insuffisamment préoccupé de la qualité des modèles d’évaluation de risque a fait que durant toute la période où les actifs ont pris de la valeur, à la faveur de l’emballement général, les fonds propres des banques n’avaient pas être augmentés. C’est seulement lorsque la crise est intervenue, affectant la liquidité de nombre de ces produits, à partir de l’été 2007, que Bâle II est devenu "mangeur de fonds propres" puisque la valeur des actifs se voyait subitement dépréciée dans les bilans. On a alors un eu un phénomène d’aggravation, qu’on appelle un phénomène pro cyclique. Autrement dit, dans la période favorable de montée des prix des actifs, le système de Bâle II a contribué à la croissance de crédits et dans la période de retournement du cycle, Bâle II a contribué à la liquidation massive des avoirs afin de permettre aux banques de conserver un niveau de fonds propres suffisant face à des risques devenus beaucoup plus aigus. Ces phénomènes trouvent donc également leur source dans la réglementation. On peut d’ailleurs ajouter que le système de comptabilisation qui a été introduit en Europe à la fin des années 90, à la demande des Américains qui l’avaient adopté en 1993, celui de la "Fair value" et du "Mark-to-market", a été un phénomène puissant d’aggravation du caractère pro cyclique de ce que je viens de décrire. C’est aussi une source profonde de la crise.

En quoi la tendance à déréguler les marchés financiers, notamment en Europe, ces dernières années a contribué à cette crise ?

La dérégulation a également conduit à cette dislocation des marchés. La voie dans laquelle nous nous sommes engagés depuis les années Thatcher et Reagan a consisté à se reposer sur les établissements financiers pour gérer eux-mêmes leur risque et à laisser se développer des instituions comme les banques américaines d’investissement, comme les hedges funds, qui étaient très peu régulés et qui ont pu atteindre des niveaux d’effets de levier considérables, sans que les superviseurs bancaires ne s’en soient préoccupés.

Il y a donc une conjonction entre d’un côté une dérégulation et de l’autre une mauvaise régulation, tout cela sur fond de politique monétaire beaucoup trop laxiste. L’ensemble de ces facteurs a provoqué cette crise sans précédent que nous connaissons.

L’euro a-t-il protégé des effets de la crise ? Et si oui, pourquoi ?

L’euro a bien entendu protégé de la crise dans le sens où un certain nombre de pays qui ont des fondamentaux moins solides que ceux par exemple de l’Allemagne ou de la France auraient été emportés par des crises classiques de change si l’euro n’était venu les protéger en constituant une sorte de bouclier qui leur a permis de garder des taux d’intérêts relativement faibles. Imaginez un instant que certains de ces pays aient eu à dévaluer considérablement leur monnaie ou à payer des taux d’intérêts prohibitifs pour le financement de leur dette, la crise eût été beaucoup plus forte.

Cela ne veut pas dire que l’euro soit la panacée absolue car il faut aussi lorsqu’on fonctionne dans un système d’union monétaire, qu’il n’y ait pas trop de divergences, que ce soit au niveau des taux d’inflation, ou de la compétitivité entre chacune des économies. Si la situation se dégradait de ce point de vue là, la monnaie resterait certes stable mais il faudrait procéder à des ajustements sur les coûts et les structures des économies en question de façon à rendre à nouveau ces économies plus compétitives. Nous n’avons pas les inconvénients de la dévaluation, mais nous n’en avons pas non plus la facilité. Au total, je crois que le système a été extrêmement protecteur.

Quels sont les mesures absolument nécessaires pour refonder le système financier mondial que les Européens pourraient proposer au G 20 ?

C’est un sujet extrêmement important. Pour que les Européens puissent proposer d’une manière crédible des recommandations au G 20, il faut tout d’abord qu’ils parviennent à parler d’une seule voix. Les Européens doivent s’entendre sur leur propre système de régulation et de supervision financière. Ceci est l’objet du rapport d’un groupe d’experts que j’ai présidé. Il s’agit là d’une sorte de pré condition à la question que vous posez, car si l’Union européenne est divisée à l’intérieur, elle n’aura pas de crédibilité pour proposer une refondation du système mondial.

S’agissant du système financier mondial, je crois qu’il faut simplifier les choses et en même temps être très clair. Il faut une régulation financière mondiale, cohérente et harmonisée. Actuellement, les États-Unis, l’Europe et un certain nombre d’autres pays systémiquement importants abordent encore les questions des règles financières de manière très disparate. Aux Etats-Unis par exemple, le contrôle qui s’est exercé sur les banques d’investissement par la SEC (Security Exchange Commission) est un contrôle extrêmement faible, pour utiliser une litote. Nous avons donc un système fragmenté, non harmonisé et qui favorise de ce fait les comportements dangereux dans certaines zones, ainsi que l’arbitrage réglementaire, c’est-à-dire la migration d’un certain nombre d’institutions financières ou de leurs activités vers des centres plus accommodants en matière de surveillance. Il faut donc sortir de cette situation et instaurer des règles du jeu globales. Pour faire cela, il faudrait que ceux qui sont chargés d’établir les règles, par exemple le Comité de Bâle, qui s’occupe de la réglementation des fonds propres des banques, le fassent d’une manière cohérente et responsable. Jusqu’à présent ces règles ont souvent été mauvaises conseillères car trop pro cycliques, comme je l’ai évoqué précédemment. Il faut que ces règles soient appliquées par tous et que les régulateurs rendent compte de ce qu’ils font à une autorité supérieure.

On peut imaginer deux voies pour faire cela. Le Comité de Bâle et le Forum de stabilité financière, deux organismes chargés de déterminer les règles du jeu, pourraient rendre compte soit auprès du G 20, ou mieux, auprès du Fonds monétaire international. Pour exercer cette fonction, le FMI pourrait activer une disposition de ses statuts afin de transformer le Comité financier, qui se réunit deux fois par an, en un véritable Conseil chargé de veiller au système et ayant des pouvoirs de décision. Cette mesure ne nécessite pas de réforme des statuts du FMI et pourrait donc être activée très rapidement par le Conseil d’administration. Je crois qu’il s’agit là d’une bonne manière de renforcer la responsabilité des régulateurs – accountability - auprès d’un organe comme le Fonds monétaire qui est l’expression du monde entier au niveau politique.

L’autre voie, qui est peut être plus ambitieuse, consisterait à négocier un traité qui établirait les modalités d’action de ces "auteurs de règles", leur donnerait l’indépendance nécessaire, cadrerait leur activité et prévoirait un système de responsabilité vis-à-vis d’ une institution mondiale. C’est un peu la traduction de la première voie mais avec un coup de crayon plus net et plus fort. Cette deuxième option semble toutefois avoir peu de chance de passer le barrage des grandes nations. La première voie est donc probablement plus réaliste.

Ce premier point concerne l’établissement des règles, mais il faut ensuite que ces règles soient appliquées. Ce rôle est en général celui des superviseurs, qu’il faut distinguer des régulateurs. Les superviseurs - comme la Commission bancaire en France - regardent chacune des institutions financières et veillent à ce que l’application des règles par ces institutions soit effective. Il est à mon avis indispensable qu’il y ait une bien meilleure coordination des superviseurs nationaux s’agissant des banques transnationales. Actuellement la supervision de ces grands groupes n’est ni suffisamment homogène, ni suffisamment coordonnée. C’est vrai en Europe mais plus généralement dans le monde. Pour mieux coordonner l’action des superviseurs nationaux on a eu l’idée de créer des collèges de superviseurs qui regroupent, grande banque par grande banque, l’ensemble des superviseurs intéressés, dans le but de définir la manière dont il faut appliquer les règles aux établissements en question. Cette généralisation des collèges commence à se faire en Europe puisqu’il existe environ la moitié des collèges qui seraient requis par l’existence des grands groupes transfrontaliers. Il y a, me semble-t-il, un accord de principe de la part des membres du G 20 pour que ces collèges se développent au niveau mondial, ce qui est une bonne chose.

Il est bien d’avoir des collèges qui fonctionnent de manière plus harmonieuse mais il est encore plus important de s’assurer, à la base, que ce que préconisent les superviseur est réellement appliqué par les institutions financières. Je crois que le FMI pourrait être d’une grande utilité dans ce domaine. Cette institution a une bonne connaissance des pays membres puisqu’elle procède à des examens annuels sous l’angle macroéconomique. Il faudrait à présent développer la surveillance sous l’angle de l’application des règles prudentielles. Le FMI est armé pour faire cela et a déjà lancé une procédure d’évaluation du secteur financier avec les "Financial Sector Assessment Programs" (FSAP). Ces examens de caractère financier ne sont toutefois pas encore obligatoires - ce qui devrait être le cas - et certains pays ne s’y soumettent pas. Le Fonds monétaire aurait donc un rôle de "gendarme" pour l’application des règles sur le terrain ; règles qui par ailleurs auraient été harmonisées.

Il faut enfin qu’il y ait du point de vue de la macrosurveillance, c’est-à-dire à l’échelon horizontal, une forte cellule de veille qui soit à l’affut des dérives, des comportements anormaux, des abus d’effets de levier ou de titrisation. Ces pratiques ont été avérées au cours des dernières années, sans pour autant faire l’objet d’un d’avertissement systématique et de caractère suffisamment précoce.

Nous avons dans le cadre de notre rapport européen, préconisé, la création, auprès de la BCE, d’un "conseil du risque systémique" regroupant l’ensemble des banquiers centraux de l’Union et qui aurait pour tâche d’examiner ces déviations possibles, de produire des avertissements ou des recommandations, adressés aux gouvernements, aux banques centrales ou aux régulateurs des différents pays, avec une possibilité d’élévation de ces notifications au niveau du Conseil des ministres.

Une structure du même genre est concevable à l’échelon mondial. Les États-Unis vont à présent se doter d’une cellule de veille macroéconomique autour de la FED, comme nous l’avons proposé pour l’Europe. Il serait bon que ces organes de contrôle ou de veille systémique dialoguent et se retrouvent au FMI pour comparer leurs observations. Le FMI aurait comme vocation de mettre en relief ces avertissements en étant beaucoup plus précis que ce ne fut le cas dans le passé, sur la manière de réagir. Il y a eu en effet de nombreux avertissements sur la stabilité financière, émis par différentes institutions, mais ces observations sont restées trop générales et n’ont pas été suivies par des actes. Il faut donc changer cet état d’esprit et je pense que le FMI, qui est un bon surveillant de la scène financière mondiale et un bon connaisseur de la situation macroéconomique des pays, pourrait jouer un rôle tout à fait déterminant.

Voici en quelques mois les mesures qui me semblent absolument nécessaires pour refonder le système mondial. J’ajoute qu’après la crise, il faudra s’adresser aux déséquilibres structurels des balances des paiements. Les États-Unis accumulent des déficits depuis des décennies et ce système ne peut pas fonctionner durablement, ce qui a été dit à de très nombreuses reprises, mais la facilité à prévalu. Le FMI a un rôle essentiel à jouer dans le domaine de la surveillance multilatérale, restée beaucoup trop théorique jusqu’à présent. Encore faut-il que les grands pays acceptent de jouer le jeu.

Pouvez vous nous présenter les principales conclusions du rapport du groupe de haut niveau que vous avez présidé sur la supervision financière au sein de l’Union européenne ?

Le rapport est divisé en quatre chapitres : le premier porte sur les causes de la crise, le deuxième sur la régulation en Europe, le troisième sur la supervision et le quatrième sur l’architecture mondiale.

Nous dénonçons l’excès de fragmentation de la régulation au sein de l’Union européenne et proposons de disséquer le stock de règles divergentes afin de mettre en place un corps harmonisé de règles, sans les exemptions nationales qui caractérisent le système actuel.

S’agissant de la supervision, nous proposons de systématiser les collèges de superviseurs nationaux. Nous ne recommandons pas une autorité centrale pan européenne pour superviser les banques au sein de l’UE car cette solution ne nous a pas semblé la plus pratique. En effet, le principe de subsidiarité veut que ce que l’on peut faire au niveau national, doit être fait au niveau national. Nous pensons de plus que les superviseurs nationaux sont capables de superviser les banques sans qu’on ait à créer un étage supplémentaire. Ceci ne peut toutefois fonctionner que si les superviseurs bancaires, sous la forme du Comité européen des contrôleurs bancaires (CEBS), du Comité européen des contrôleurs des assurances et des pensions professionnelles (CEIOPS) et du Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières (CESR) sont véritablement dotés de pouvoirs. Ces comités sont actuellement purement consultatifs et ont épuisé leur capacité de persuasion. Nous avons donc envisagé un certain nombre de changements juridiques qui donneraient à ces comités un statut d’autorité indépendante, avec des conseils d’administration indépendants, et leur permettrait de prendre certaines décisions, notamment en matière de médiation. Les divergences de vue au sein d’un collège de superviseurs sont fréquentes, notamment entre un superviseur qui accueille une filiale et un superviseur du pays de la maison mère, et ne sont pas faciles à régler à l’amiable. Nous proposons donc lorsque ce n’est pas possible, d’élever ces problèmes à la médiation de l’autorité bancaire qui pourra trancher. De même, lorsqu’il y a des divergences d’interprétation sur un règlement ou sur une directive, il faut que l’autorité en question puisse trancher et fixer la jurisprudence de l’interprétation.

Au niveau de la macrosurveillance, nous avons proposé (comme évoqué précédemment) un conseil du risque systémique qui serait abrité par la Banque centrale européenne et regrouperait tous les gouverneurs du système européen des banques centrales.

Un dernier chapitre du rapport concerne l’ouverture internationale car sans un système mondial à peu près harmonisé, tout ceci n’aurait pas de sens et entrainerait des risques importants de distorsion de compétition.

Informations sur Jacques de Larosière
Jacques de Larosière, Conseiller du Président de BNP Paribas, ancien Président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) (1993-1998), Gouverneur de la Banque de France entre 1987 et 1993, et ancien Directeur général du Fonds monétaire international (1978-1987). Nommé en octobre 2008, Président d’un groupe de haut niveau chargé par la Commission européenne de réfléchir à la supervision financière au sein de l’Union européenne, Jacques de Larosière a remis son rapport le 25 février 2009. Approuvé par la Commission européenne puis par les 27 chefs d’État et de gouvernement de l’UE lors du Conseil européen des 19 et 20 mars, le rapport servira de base à la définition d’une législation européenne sur la supervision financière (propositions attendues fin mai 2009)
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