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Entretien du 3/02/12
Philipp Lowe
Directeur Général DG Energie à la Commission Européenne

Le traité Euratom reste inchangé depuis 1958 et ce n'est pas par hasard

 Cercle des Européens: L'Europe a toujours été à l'avant-garde de la lutte contre le réchauffement climatique. On voit bien qu'elle fait aujourd'hui un peu cavalier seul en la matière. Cela ne risque-t-il pas de nous coûter quelques problèmes de compétitivité ?

Philipp Lowe: La Conférence sur le climat de Durban a montré que tous les pays sont maintenant prêts à aller de l'avant et agir par rapport au changement climatique. Cependant, il faudra encore du temps avant qu'un véritable cadre juridique soit établi. C'est pour cette raison que la législation sur le climat actuellement en vigueur contient des dispositions qui prennent en compte les impacts négatifs sur la compétitivité, applicables en absence d'un accord international impliquant tous les principaux responsables d'émissions. Il existe des dispositions pour protéger les entreprises soumises à une forte concurrence internationale, afin d'éviter les «fuites de carbone», c'est-à-dire le déménagement des entreprises dans des pays où les réglementations sont moins strictes. Ces dispositions seront révisées seulement si les conditions internationales sont équitables.

Cercle des Européens: Depuis le 1er janvier, nos avions sont soumis à la taxe carbone. Les Chinois n'en veulent pas, les Américains non plus. L'Europe peut-elle imposer cela en étant isolée sur cette question ?

Philipp Lowe: Il faut rappeler que le système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE et en anglais ETS) s'applique a tous les vols à destination et au départ de l'UE, et non pas seulement aux transporteurs européens. La Cour européenne de justice a clairement indiqué que l'application du système aux vols de pays tiers ne constitue pas une violation de la loi. L'UE a toujours privilégié une solution commune au niveau mondial pour tous les vols internationaux, mais en absence d'une action globale, il fallait faire un premier pas. Le pire serait de laisser les choses en l'état dans l'attente d'un accord hypothétique. L'UE est disposée à discuter avec d'autres partenaires sur les meilleures solutions pour reconnaître et prendre en compte des mesures équivalentes, et nous continuons à favoriser une approche globale pour diminuer les émissions du secteur de l'aviation.

Cercle des Européens: La Commission européenne a fortement œuvré pour l'instauration d'un marché de certification carbone avec l'établissement d'une certaine flexibilité pour les entreprises avec un juste prix. Comment expliquez-vous le crack de ce marché d'échanges des quotas carbone (ETS) ?

Philipp Lowe: Le système ETS est fondé sur le marché. Le fait que les prix pour les quotas soient actuellement faibles reflète simplement la crise économique à laquelle est confrontée l'UE, et le fait que l'offre soit supérieure à la demande. Malgré ce qu'on entend parfois, l'UE est sur le bonne voie vers la réalisation des objectifs de réduction des émissions, grâce notamment à l'ETS, qui continuera à jouer le rôle important.. Toutefois, dans les circonstances actuelles, il faut compléter cet effort par des politiques énergétiques plus ciblées pour orienter les investissements vers des choix en faveur de sources à bas carbone.

Cercle des Européens: Comme pour la TVA intracommunautaire, il y a des fraudes massives en la matière. Les transactions frauduleuses sur les droits d'émissions de CO2 dans l'Union européenne auraient fait perdre au trésor public français entre 1,5 et 1,8 milliard d'euros. Pour l'Europe, le chiffre atteindrait plus de 5 milliards. Que peut faire la Commission européenne ? Est-ce raisonnable d'installer un système européen s'il n'y a pas de moyens de contrôle réellement efficaces ?

Philipp Lowe: Afin de combattre la menace de ce que l'on a appelé "le carrousel de la fraude à la TVA" dans le contexte des échanges de quotas d'émission, la Commission a réagi rapidement. Elle a adopté en 2009 une proposition pour une application facultative et temporaire d'un mécanisme d'auto liquidation pour les livraisons de certains biens et services, y compris le transfert de quotas d'émission en vertu de l'ETS. Grâce à l'adoption par le Conseil des Ministres de la partie de la proposition applicable à l'ETS en 2010, les. États membres pourront lutter contre cette fraude de manière cohérente à travers l'UE.

En outre, en 2011, la Commission a adopté un nouveau paquet de mesures destinées à renforcer l'intégrité et la sécurité du système du registre ETS. Les mesures proposées comprennent, entre autres, le renforcement des exigences d'identification de l'utilisateur et prévoient de donner à Europol l'accès permanent aux données stockées dans le registre, ce qui rend le contrôle et la lutte contre la criminalité beaucoup plus efficace.

Enfin, j'aimerais souligner deux choses. Tout d'abord, le phénomène de la fraude existe également dans de nombreux systèmes nationaux ainsi que dans d'autres marchés: il n'est pas en soi une raison pour considérer si un système atteint ses objectifs ou pas. D'autre part, l'impact environnemental du système d'échanges est déterminé par sa limite. Comme la fraude à la TVA n'a pas d'impact sur le niveau d'exigence des limites, elle n'a pas d'effets sur la capacité du système d'échange d'émissions de l'UE à réduire les émissions.

Cercle des Européens: Nous constatons qu'en matière énergétique, c'est la remise en cause du nucléaire qui fait la Une, même en France. Comment la Commission envisage-t-elle la question ? Comment avez- vous géré la décision brutale de l'Allemagne d'arrêter son programme nucléaire ? 

Philipp Lowe: Je ne suis pas sûr que l'on puisse dire que l'énergie nucléaire est remise en question dans son ensemble. Cela dépend vraiment d'un certain nombre de facteurs et de spécificités nationales. Au niveau de l'UE, le Traité affirme clairement que chaque État membre est le seul compétent pour choisir son mix énergétique. Ainsi, la Commission européenne respecte pleinement la décision de l'Allemagne et n'a rien à dire sur son choix de favoriser davantage le gaz et les énergies renouvelables. Il y a cependant une autre question à prendre en considération: le bon fonctionnement du marché intérieur européen. En termes concrets, cela signifie que les décisions de chaque Etat membre à l'égard de son mix énergétique peuvent avoir un impact sur d'autres États membres, ainsi que sur le fonctionnement global du marché de l'énergie de l'UE.

A cet égard, ce n'est pas tant l'élimination graduelle de l'énergie nucléaire décidée en Allemagne que l'impact causé par la fermeture immédiate de plusieurs centrales nucléaires qui a eu des implications en termes de sécurité d'approvisionnement et de gestion du réseau électrique européen. Il est d'ailleurs évident qu'il n'aurait pas été possible de prendre une telle décision à court terme sans l'existence d'un marché européen de l'électricité en grande partie déjà intégré. Et cette décision subite a des effets immédiats sur les voisins de l'Allemagne comme la Pologne, la République tchèque et la France. C'est à ce titre qu'il s'avère très important de favoriser une approche européenne, comme le souligne le terme allemand "Energiekonzept", afin de s'assurer que les choix nationaux puissent être mis en œuvre de manière coordonnée. C'est ce que nous sommes en train de faire avec les États Membres et toutes les parties prenantes.

Cercle des Européens: Avant même le traité de Lisbonne mentionnant l'énergie dans les compétences de l'Union européenne, il y avait des jurisprudences (CJCE 30/05/06 Commission / Irlande affaire C-459/03) pour dire que l'Europe avait compétence quand il s'agissait de sécurité, même en matière nucléaire... Que rôle peut jouer la Commission européenne dès lors face aux Etats ?  

Philipp Lowe: Le rôle de la Commission est de promouvoir les normes de sécurité les plus élevées sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne. En outre, l'UE soutient les pays tiers dans leurs efforts visant à respecter les normes internationales en privilégiant une coopération internationale renforcée (en particulier avec l'AIEA) et la stimulation d'un débat ouvert avec toutes les parties prenantes. L'énergie nucléaire est réglementée par le traité Euratom et par la législation communautaire dérivée, liée à la sûreté nucléaire, la gestion des déchets nucléaires et la protection contre les rayonnements ionisants. Le rôle de la Commission en matière de sûreté nucléaire a été reconnu par la Cour de justice en 2002 (affaire C29/99). Depuis lors, la Commission a été très active dans ce domaine et a fait plusieurs propositions ambitieuses. Ainsi ont été adoptées successivement la directive sur la sûreté des installations nucléaires (2009) et la directive sur la gestion des déchets nucléaires (2011). Dans les prochains mois, la Commission poursuivra ses efforts pour proposer le cas échéant d'améliorer la législation sur la sûreté nucléaire, notamment à la lumière des résultats des stress tests, dont les résultats sont attendus pour la fin de ce semestre.

Cercle des Européens: A quoi sert le traité EURATOM aujourd'hui ? 

Philipp Lowe: Le traité Euratom est resté inchangé depuis son entrée en vigueur en 1958. Ce n'est pas par hasard. Je crois qu'il a démontré sa modernité comme instrument collectif pour l'utilisation sûre de l'énergie nucléaire civile et son développement sans danger pour les États membres qui l'ont intégrée dans leur mix énergétique. De même, il est à la base de la coopération avec les pays tiers. En effet, il s'est avéré être très utile pour créer la confiance mutuelle entre partenaires européens et promouvoir en Europe et au-delà, les plus hautes normes et les meilleures pratiques en matière de sûreté nucléaire. Le traité a également permis à l'Europe de se faire reconnaître un rôle très important au niveau international, en particulier dans le domaine des garanties nucléaires, qui contribue à la non prolifération au niveau mondial et aux objectifs de sécurité nucléaire.

Pour conclure, je dirais que l'expérience a démontré l'utilité du Traité et que l'Europe continuera à user de tous les instruments qu'il a mis en place, en particulier dans le domaine des investissements nucléaires, la sûreté nucléaire, la radioprotection, la recherche et la technologie, la politique d'approvisionnement, les garanties nucléaires et les relations internationales.

Cercle des Européens: Lors de votre intervention au Cercle des Européens, vous aviez insisté sur la réaction de l'Europe après la crise du gaz russe en 2006. Pourriez-vous nous dire ce qui a été fait depuis sur ce sujet ?

Philipp Lowe: Les crises du gaz en 2006 et 2009 ont montré que l'Europe était vulnérable, parce que la prévention et les mécanismes nécessaires de préparation aux crises pour réagir à une perturbation des approvisionnements en gaz n'avaient pas encore été mis en place à l'époque. Beaucoup de choses ont changé depuis.

Sur le plan interne, nous sommes pleinement engagés à intégrer d'ici à 2014 le marché européen du gaz ouvert et concurrentiel. Les Etats membres sont en train d'adapter leur législation et d'évaluer les investissements à faire en termes de nouvelles infrastructures, inversion des flux et installations de stockage pour être en mesure de mieux s'aider les uns les autres en cas de crise et de prévenir et atténuer les conséquences des perturbations potentielles des approvisionnements en gaz. A cet égard, le règlement sur la sécurité de l'approvisionnement en gaz approuvé en Octobre 2010 a ouvert la voie à ces améliorations.

Sur le front extérieur, la Commission européenne est en dialogue constant avec ses fournisseurs principaux et explore de nouvelles sources d'approvisionnement et des routes alternatives. Il faut souligner que dans le cadre du dialogue énergétique UE-Russie, lun mécanisme d'alerte précoce avec la Russie a été mis en place en 2009 afin de garantir une évaluation en amont des risques potentiels et des problèmes liés à l'approvisionnement énergétique. Ce dialogue permet d'assurer une réaction rapide en cas de situation d'urgence ou de menace de crise. Dans le même état d'esprit, dans le cadre de la coopération avec l'Ukraine, il a été décidé en2009 que l'UE contribuera à la modernisation du système de transit gazier ukrainien et, partant, de réduire les risques de rupture d'approvisionnement. Ce sont là des bénéfices concrets d'une approche européenne de la sécurité d'approvisionnement.


 

Informations sur Philipp Lowe
Philip Lowe nait à Leeds en 1947 et suit des études Collège St John, à Oxford et à la London Business School. Après avoir travaillé dans l'industrie, il rejoint la Commission européenne en 1973 où il a occupé plusieurs postes importants dans les domaines du développement régional, de l'agriculture, des transports. Il devient directeur général à la DG Développement et coopération en 1997. Modèle du haut fonctionnaire européen ayant le sens de l’intérêt général communautaire et considéré comme tel, il est nommé en 2002 au poste prestigieux de DG Concurrence, jusqu'à ce qu'il prenne ses fonctions actuelles de directeur général de la DG Énergie en février 2010.
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